Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages. 🔊✎
La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel, et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités de la Toucques. 🔊✎ Des bœufs, étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. 🔊✎ Dans la troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirent en rond devant elles. 🔊✎
— Ne craignez rien! dit Félicité.
Et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur l'échine celui qui se trouvait le plus près; il fit volte-face, les autres l'imitèrent. 🔊✎ Mais, quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. 🔊✎ C'était un taureau, que cachait le brouillard. 🔊✎ Il avança vers les deux femmes. Mme Aubain allât courir. 🔊✎
Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière un souffle sonore qui se rapprochait. 🔊✎ Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie; voilà qu'il galopait maintenant! 🔊✎ Félicité se retourna, et elle arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. 🔊✎ Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant horriblement. 🔊✎ Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment franchir le haut bord. 🔊✎ Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait:
— Dépêchez-vous! dépêchez-vous!
Mme Aubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite, tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force de courage y parvint. 🔊✎
Le taureau avait acculé Félicité contre une claire voie; sa bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. 🔊✎ Elle eut le temps de se couler entre deux barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta. 🔊✎