← Le premier dîner que M. de Norpois fit à la maison, une année où je jouais encore aux Champs-Élysées, est resté dans ma mémoire, parce que l'après-midi de ce même jour fut celui où j'allai enfin entendre la Berma, en «matinée», dans Phèdre, et aussi parce qu'en causant avec M. de Norpois je me rendis compte tout d'un coup, et d'une façon nouvelle, combien les sentiments éveillés en moi par tout ce qui concernait Gilberte Swann et ses parents différaient de ceux que cette même famille faisait éprouver à n'importe quelle autre personne. 🔊✎
← En faisant afficher ainsi, au milieu de pièces qui n'étaient destinées qu'à faire passer le temps d'une soirée, Phèdre, dont le titre n'était pas plus long que les leurs et n'était pas imprimé en caractères différents, elle y ajoutait comme le sous-entendu d'une maîtresse de maison qui, en vous présentant à ses convives au moment d'aller à table, vous dit au milieu des noms d'invités qui ne sont que des invités, et sur le même ton qu'elle a cité les autres: M. Anatole France. 🔊✎
← Enfin, les derniers moments de mon plaisir furent pendant les premières scènes de Phèdre. 🔊✎
← Le personnage de Phèdre ne paraît pas dans ce commencement du second acte; et, pourtant, dès que le rideau fut levé et qu'un second rideau, en velours rouge celui-là, se fut écarté, qui dédoublait la profondeur de la scène dans toutes les pièces où jouait l'étoile, une actrice entra par le fond, qui avait la figure et la voix qu'on m'avait dit être celles de la Berma. 🔊✎
← Je l'écoutais comme j'aurais lu Phèdre, ou comme si Phèdre, elle-même avait dit en ce moment les choses que j'entendais, sans que le talent de la Berma semblât leur avoir rien ajouté. 🔊✎
← Je n'en sentis pas moins, le rideau tombé, un désappointement que ce plaisir que j'avais tant désiré n'eût pas été plus grand, mais en même temps le besoin de le prolonger, de ne pas quitter pour jamais, en sortant de la salle, cette vie du théâtre qui pendant quelques heures avait été la mienne, et dont je me serais arraché comme en un départ pour l'exil, en rentrant directement à la maison, si je n'avais espéré d'y apprendre beaucoup sur la Berma par son admirateur auquel je devais qu'on m'eût permis d'aller à Phèdre, M. de Norpois. 🔊✎
← Je n'ai pas vu Mme Berma dans Phèdre, mais j'ai entendu dire qu'elle y était admirable. 🔊✎
← Ce premier jour où je le vis chez les parents de Gilberte, je racontai à Bergotte que j'avais entendu récemment la Berma dans Phèdre; il me dit que dans la scène où elle reste le bras levé à la hauteur de l'épaule—précisément une des scènes où on avait tant applaudi—elle avait su évoquer avec un art très noble des chefs-d'oeuvre qu'elle n'avait peut-être d'ailleurs jamais vus, une Hespéride qui fait ce geste sur une métope d'Olympie, et aussi les belles vierges de l'ancien Erechthéion. 🔊✎
← Pour se mêler à la conversation, Mme Swann me demanda si Gilberte avait pensé à me donner ce que Bergotte avait écrit sur Phèdre. «J'ai une fille si étourdie», ajouta-t-elle. Bergotte eut un sourire de modestie et protesta que c'étaient des pages sans importance. 🔊✎
← Je lui dis que j'avais aimé cet éclairage vert qu'il y a au moment où Phèdre lève le bras. 🔊✎