← Mais ce souvenir ne lui était pas agréable et plutôt que d'approfondir la honte qu'il ressentait, il préférait se livrer à une petite grimace du coin de la bouche complétée au besoin d'un hochement de tête qui signifiait: «qu'est-ce que ça peut me faire?» Certes, il estimait maintenant que l'hypothèse à laquelle il s'était souvent arrêté jadis et d'après quoi c'étaient les imaginations de sa jalousie qui seules noircissaient la vie, en réalité innocente, d'Odette, que cette hypothèse (en somme bienfaisante puisque tant qu'avait duré sa maladie amoureuse elle avait diminué ses souffrances en les lui faisant paraître imaginaires) n'était pas la vraie, que c'était sa jalousie qui avait vu juste, et que si Odette l'avait aimé plus qu'il n'avait cru, elle l'avait aussi trompé davantage. 🔊✎
← C'est de même en vue de Gilberte et pour ne pas la quitter que j'avais décidé de ne pas entrer dans les ambassades. Ce n'est jamais qu'à cause d'un état d'esprit qui n'est pas destiné à durer qu'on prend des résolutions définitives. 🔊✎
← Malheureusement à certains signes d'impatience que celle-ci laissait échapper quand son père me faisait venir en quelque sorte malgré elle, je me demandai si ce que j'avais considéré comme une protection pour mon bonheur n'était pas au contraire la raison secrète pour laquelle il ne pourrait durer. 🔊✎
← Mais cette reprise des relations d'amitié ne dura que le temps d'aller jusqu'à chez les Swann: non pas parce que leur maître d'hôtel, lequel m'aimait beaucoup, me dit que Gilberte était sortie (je sus en effet dès le soir même, que c'était vrai, par des gens qui l'avaient rencontrée), mais à cause de la façon dont il me le dit: «Monsieur, mademoiselle est sortie, je peux affirmer à monsieur que je ne mens pas. Si monsieur veut se renseigner, je peux faire venir la femme de chambre. 🔊✎
← Hélas! ce serait en vain: chercher en ne la voyant plus à ranimer en elle ce goût de me voir, c'était la perdre pour toujours; d'abord, parce que quand il commencerait à renaître, si je voulais qu'il durât, il ne faudrait pas y céder tout de suite; d'ailleurs, les heures les plus cruelles seraient passées; c'était en ce moment qu'elle m'était indispensable et j'aurais voulu pouvoir l'avertir que bientôt elle ne calmerait, en me revoyant, qu'une douleur tellement diminuée qu'elle ne serait plus, comme elle l'eût été encore en ce moment même, et pour y mettre fin, un motif de capitulation, de se réconcilier et de se revoir. 🔊✎
← Elle-même adopta mon point de vue; et, comme dans les toasts officiels, où le chef d'État qui est reçu reprend peu à peu les mêmes expressions dont vient d'user le chef d'État qui le reçoit, chaque fois que j'écrivais à Gilberte: «La vie a pu nous séparer, le souvenir du temps où nous nous connûmes durera», elle ne manqua pas de répondre: «La vie a pu nous séparer, elle ne pourra nous faire oublier les bonnes heures qui nous seront toujours chères» (nous aurions été bien embarrassé de dire pourquoi «la vie» nous avait séparés, quel changement s'était produit). 🔊✎
← Mais cette souffrance et ce regain d'amour pour Gilberte ne furent pas plus longs que ceux qu'on a en rêve, et cette fois, au contraire, parce qu'à Balbec l'Habitude ancienne n'était plus là pour les faire durer. 🔊✎
← On eut en effet bientôt des nouvelles de l'étudiante et quand Albertine montra la lettre qu'elle en avait reçue, lettre destinée par Gisèle à donner des nouvelles de son voyage et de son arrivée à la petite bande, en s'excusant sur sa paresse de ne pas écrire encore aux autres, je fus surpris d'entendre Andrée, que je croyais brouillée à mort avec elle, dire: «Je lui écrirai demain, parce que si j'attends sa lettre d'abord, je peux attendre longtemps, elle est si négligente.» Et se tournant vers moi elle ajouta: «Vous ne la trouveriez pas très remarquable évidemment, mais c'est une si brave fille et puis j'ai vraiment une grande affection pour elle.» Je conclus que les brouilles d'Andrée ne duraient pas longtemps. 🔊✎
← Sentant qu'elles dureraient peu, étaient bientôt à leur fin, car on ne continuerait sans doute pas longtemps ce petit jeu, et qu'une fois qu'il serait fini, ce serait trop tard, je ne tenais pas en place. 🔊✎
← Comment cela eût-il été possible, comment le monde eût-il pu durer plus que moi, puisque je n'étais pas perdu en lui, puisque c'était lui qui était enclos en moi, en moi qu'il était bien loin de remplir, en moi, où, en sentant la place d'y entasser tant d'autres trésors, je jetais dédaigneusement dans un coin ciel, mer et falaises. 🔊✎