← J'aurais voulu—pour pouvoir l'approfondir, pour tâcher d'y découvrir ce qu'elle avait de beau—arrêter, immobiliser longtemps devant moi chaque intonation de l'artiste, chaque expression de sa physionomie; du moins, je tâchais, à force d'agilité morale, en ayant avant un vers mon attention tout installée et mise au point, de ne pas distraire en préparatifs une parcelle de la durée de chaque mot, de chaque geste, et, grâce à l'intensité de mon attention, d'arriver à descendre en eux aussi profondément que j'aurais fait si j'avais eu de longues heures à moi. 🔊✎
← Mais que cette durée était brève! 🔊✎
← Le mien finit par revenir, car ce qui, modifiant notre état moral, nos désirs, est entré, à la faveur d'un rêve, dans notre esprit, cela aussi peu à peu se dissipe, la permanence et la durée ne sont promises à rien, pas même à la douleur. 🔊✎
← Et, comme la durée moyenne de la vie—la longévité relative—est beaucoup plus grande pour les souvenirs des sensations poétiques que pour ceux des souffrances du coeur, depuis si longtemps que se sont évanouis les chagrins que j'avais alors à cause de Gilberte, il leur a survécu le plaisir que j'éprouve, chaque fois que je veux lire, en une sorte de cadran solaire, les minutes qu'il y a entre midi un quart et une heure, au mois de mai, à me revoir causant ainsi avec Mme Swann, sous son ombrelle, comme sous le reflet d'un berceau de glycines. 🔊✎
← Ce sont elles—même les plus chétives, comme les obscurs attachements aux dimensions, à l'atmosphère d'une chambre—qui s'effarent et refusent, en des rébellions où il faut voir un mode secret, partiel, tangible et vrai de la résistance à la mort, de la longue résistance désespérée et quotidienne à la mort fragmentaire et successive telle qu'elle s'insère dans toute la durée de notre vie, détachant de nous à chaque moment des lambeaux de nous-mêmes sur la mortification desquels des cellules nouvelles multiplieront. 🔊✎