← A toutes ces raisons, je confrontais, pour décider ce qui devait l'emporter, l'idée, invisible derrière son voile, de la perfection de la Berma. 🔊✎
← C'eût été pour abréger ma souffrance et non plus dans l'espoir d'un bénéfice intellectuel et en cédant à l'attrait de la perfection, que je me serais laissé conduire non vers la Sage Déesse, mais vers l'implacable Divinité sans visage et sans nom qui lui avait été subrepticement substituée sous son voile. 🔊✎
← Mais quand ma grand'mère croyait que j'avais les yeux fermés, je la voyais par moments sous son voile à gros pois jeter un regard sur moi puis le retirer, puis recommencer, comme quelqu'un qui cherche à s'efforcer, pour s'y habituer, à un exercice qui lui est pénible. 🔊✎
← Mais elle interceptait le vent et c'était un défaut à l'avis de ma grand'mère qui, ne pouvant supporter l'idée que je perdisse le bénéfice d'une heure d'air, ouvrit subrepticement un carreau et fit envoler du même coup avec les menus, les journaux, voiles et casquettes de toutes les personnes qui étaient en train de déjeuner; elle-même, soutenue par le souffle céleste, restait calme et souriante comme sainte Blandine, au milieu des invectives qui, augmentant mon impression d'isolement et de tristesse, réunissaient contre nous les touristes méprisants, dépeignés et furieux. 🔊✎
← Pendant ce trajet la route bordée de pommiers qui part de Balbec n'était pour eux que la distance qu'il fallait franchir—peu distincte dans la nuit noire de celle qui séparait leurs domiciles parisiens du Café Anglais ou de la Tour d'Argent—avant d'arriver au petit restaurant élégant où, tandis que les amis du jeune homme riche l'enviaient d'avoir une maîtresse si bien habillée, les écharpes de celle-ci tendaient devant la petite société comme un voile parfumé et souple, mais qui la séparait du monde. 🔊✎
← Car sans cela leur visage resterait éternellement dépourvu, dans ma mémoire, de cette partie de lui-même—et comme si elle était cachée par un voile—qui varie avec toutes les femmes, que nous ne pouvons imaginer chez l'une quand nous ne l'y avons pas vue, et qui apparaît seulement dans le regard qui s'adresse à nous et qui acquiesce à notre désir et nous promet qu'il sera satisfait. 🔊✎
← «L'idée de ce grand voile dans lequel les Anges portent le corps de la Vierge, trop sacré pour qu'ils osent le toucher directement (Je lui dis que le même sujet était traité à Saint-André-des-Champs; il avait vu des photographies du porche de cette dernière église mais me fit remarquer que l'empressement de ces petits paysans qui courent tous à la fois autour de la Vierge était autre chose que la gravité des deux grands anges presque italiens, si élancés, si doux); l'ange qui emporte l'âme de la Vierge pour la réunir à son corps; dans la rencontre de la Vierge et d'Elisabeth, le geste de cette dernière qui touche le sein de Marie et s'émerveille de le sentir gonflé; et le bras bandé de la sage-femme qui n'avait pas voulu croire, sans toucher, à l'Immaculée-Conception; et la ceinture jetée par la Vierge à saint Thomas pour lui donner la preuve de sa résurrection; ce voile aussi que la Vierge arrache de son sein pour en voiler la nudité de son fils d'un côté de qui l'Église recueille le sang, la liqueur de l'Eucharistie, tandis que, de l'autre, la Synagogue dont le règne est fini, a les yeux bandés, tient un sceptre à demi-brisé et laisse échapper avec sa couronne qui lui tombe de la tête, les tables de l'ancienne Loi; et l'époux qui aidant, à l'heure du Jugement dernier, sa jeune femme à sortir du tombeau lui appuie la main contre son propre coeur pour la rassurer et lui prouver qu'il bat vraiment, est-ce aussi assez chouette comme idée, assez trouvé? 🔊✎
← Les toilettes des femmes sur un yacht c'est la même chose; ce qui est gracieux, ce sont ces toilettes légères, blanches et unies, en toile, en linon, en pékin, en coutil, qui au soleil et sur le bleu de la mer font un blanc aussi éclatant qu'une voile blanche. 🔊✎
← De sorte que si avant ces visites chez Elstir, avant d'avoir vu une marine de lui où une jeune femme, en robe de barège ou de linon, dans un yacht arborant le drapeau américain, mit le «double» spirituel d'une robe de linon blanc et d'un drapeau dans mon imagination, qui aussitôt couva un désir insatiable de voir sur le champ des robes de linon blanc et des drapeaux près de la mer, comme si cela ne m'était jamais arrivé, jusque-là, je m'étais toujours efforcé devant la mer, d'expulser du champ de ma vision, aussi bien que les baigneurs du premier plan, les yachts aux voiles trop blanches comme un costume de plage, tout ce qui m'empêchait de me persuader que je contemplais le flot immémorial qui déroulait déjà sa même vie mystérieuse avant l'apparition de l'espèce humaine, et jusqu'aux jours radieux qui me semblaient revêtir de l'aspect banal de l'universel été cette côte de brumes et de tempêtes, y marquer un simple temps d'arrêt, l'équivalent de ce qu'on appelle en musique une mesure pour rien; maintenant c'était le mauvais temps qui me paraissait devenir quelque accident funeste, ne pouvant plus trouver de place dans le monde de la beauté; je désirais vivement aller retrouver dans la réalité ce qui m'exaltait si fort et j'espérais que le temps serait assez favorable pour voir du haut de la falaise les mêmes ombres bleues que dans le tableau d'Elstir. 🔊✎
← Ce n'était plus davantage la chambre, assez puissante encore sur ma sensibilité, non certes pour me faire souffrir, mais pour me donner de la joie, la cuve des beaux jours, semblable à une piscine à mi-hauteur de laquelle ils faisaient miroiter un azur mouillé de lumière, que recouvrait un moment, impalpable et blanche comme une émanation de la chaleur, une voile reflétée et fuyante; ni la chambre purement esthétique des soirs picturaux; c'était la chambre où j'étais depuis tant de jours que je ne la voyais plus. 🔊✎