← Je fus heureux aussi dans la salle même; depuis que je savais que—contrairement à ce que m'avaient si longtemps représenté mes imaginations enfantines—il n'y avait qu'une scène pour tout le monde, je pensais qu'on devait être empêché de bien voir par les autres spectateurs comme on l'est au milieu d'une foule; or je me rendis compte qu'au contraire, grâce à une disposition qui est comme le symbole de toute perception, chacun se sent le centre du théâtre; ce qui m'explique qu'une fois qu'on avait envoyé Françoise voir un mélodrame aux troisièmes galeries, elle avait assuré en rentrant que sa place était la meilleure qu'on pût avoir et au lieu de se trouver trop loin, s'était sentie intimidée par la proximité mystérieuse et vivante du rideau. 🔊✎
← Pour Odette, l'idée de sa propre vie et de sa propre demeure n'éveillant aucun trouble mystérieux, une personne qui la connaissait, qui allait chez elle, ne lui semblait pas un être fabuleux comme il le paraissait à moi qui aurais jeté dans les fenêtres de Swann une pierre si j'avais pu écrire sur elle que je connaissais M. de Norpois: j'étais persuadé qu'un tel message, même transmis d'une façon aussi brutale, m'eût donné beaucoup plus de prestige aux yeux de la maîtresse de la maison qu'il ne l'eût indisposée contre moi. 🔊✎
← Mais venez-donc un de ces jours, me disait-elle, prendre votre thé avec Gilberte, elle vous le fera comme vous l'aimez, comme vous le prenez dans votre petit «studio», ajoutait-elle, tout en s'enfuyant vers ses visites et comme si ç'avait été quelque chose d'aussi connu de moi que mes habitudes (fût-ce celle que j'aurais eue de prendre le thé, si j'en avais jamais pris; quand à un «studio» j'étais incertain si j'en avais un ou non) que j'étais venu chercher dans ce monde mystérieux. 🔊✎
← Alors, comprenant mon erreur, décidé à ne plus tenir compte de ses paroles, la laissant, sans la croire, me dire: «Je vous aimais vraiment, vous verrez cela un jour» (ce jour, où les coupables assurent que leur innocence sera reconnue et qui, pour des raisons mystérieuses, n'est jamais celui où on les interroge), j'eus le courage de prendre subitement la résolution de ne plus la voir, et sans le lui annoncer encore, parce qu'elle ne m'aurait pas cru. 🔊✎
← «Non, je lui écrirai un mot ce soir. Du reste, Gilberte et moi nous ne pouvons plus nous voir», ajoutais-je, ayant l'air d'attribuer notre séparation à une cause mystérieuse, ce qui me donnait encore une illusion d'amour, entretenue aussi par la manière tendre dont je parlais de Gilberte et dont elle parlait de moi. 🔊✎
← La raison que je donnais maintenant dans mes lettres à Gilberte, de mon refus de la voir, c'était une allusion à quelque mystérieux malentendu, parfaitement fictif, qu'il y aurait eu entre elle et moi et sur lequel j'avais espéré d'abord que Gilberte me demanderait des explications. 🔊✎
← Elles étaient, du bonheur inconnu et possible de la vie, un exemplaire si délicieux et en si parfait état, que c'était presque pour des raisons intellectuelles que j'étais désespéré de ne pas pouvoir faire dans des conditions uniques, ne laissant aucune place à l'erreur possible, l'expérience de ce que nous offre de plus mystérieux la beauté qu'on désire et qu'on se console de ne posséder jamais, en demandant du plaisir—comme Swann avait toujours refusé de faire, avant Odette—à des femmes qu'on n'a pas désirées, si bien qu'on meurt sans avoir jamais su ce qu'était cet autre plaisir. 🔊✎
← En face de la médiocre et touchante Albertine à qui j'avais parlé, je voyais la mystérieuse Albertine en face de la mer. 🔊✎
← Elle était une de ces jolies filles qui, dès leur extrême jeunesse, pour leur beauté, mais surtout pour un agrément, un charme qui restent assez mystérieux, et qui ont leur source peut-être dans des réserves de vitalité où de moins favorisés par la nature viennent se désaltérer, toujours, dans leur famille, au milieu de leurs amies, dans le monde, ont plu davantage que de plus belles, de plus riches, elle était de ces êtres à qui, avant l'âge de l'amour et bien plus encore quand il est venu, on demande plus qu'eux ne demandent, et même qu'ils ne peuvent donner. 🔊✎
← Et c'est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l'existence, qu'approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu'elles sont sans mystère et sans beauté; c'est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n'est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n'était pas grand-chose—pour nous résigner à la mort. 🔊✎