vol

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Et à cette heure des rayons venus d'expositions, et comme d'heures différentes, brisaient les angles du mur, à côté d'un reflet de la plage, mettaient sur la commode un reposoir diapré comme les fleurs du sentier, suspendaient à la paroi les ailes repliées, tremblantes et tièdes d'une clarté prête à reprendre son vol, chauffaient comme un bain un carré de tapis provincial devant la fenêtre de la courette que le soleil festonnait comme une vigne, ajoutaient au charme et à la complexité de la décoration mobilière en semblant exfolier la soie fleurie des fauteuils et détacher leur passementerie, cette chambre, que je traversais un moment avant de m'habiller pour la promenade, avait l'air d'un prisme se décomposaient les couleurs de la lumière du dehors, d'une ruche les sucs de la journée que j'allais goûter étaient dissociés, épars, enivrants et visibles, d'un jardin de l'espérance qui se dissolvait en une palpitation de rayons d'argent et de pétales de rose. 🔊

Mais quand, la voiture de Mme de Villeparisis étant parvenue au haut d'une côte, j'apercevais la mer entre les feuillages des arbres, alors sans doute de si loin disparaissaient ces détails contemporains qui l'avaient mise comme en dehors de la nature et de l'histoire, et je pouvais en regardant les flots m'efforcer de penser que c'était les mêmes que Leconte de Lisle nous peint dans l'Orestie quand «tel qu'un vol d'oiseaux carnassiers dans l'aurore» les guerriers chevelus de l'héroïque Hellas «de cent mille avirons battaient le flot sonore». 🔊

Et si, sous ma fenêtre, le vol inlassable et doux des martinets et des hirondelles n'avait pas monté comme un jet d'eau, comme un feu d'artifice de vie, unissant l'intervalle de ses hautes fusées par la filée immobile et blanche de longs sillages horizontaux, sans le miracle charmant de ce phénomène naturel et local qui rattachait à la réalité les paysages que j'avais devant les yeux, j'aurais pu croire qu'ils n'étaient qu'un choix, chaque jour renouvelé, de peintures qu'on montrait arbitrairement dans l'endroit je me trouvais et sans qu'elles eussent de rapport nécessaire avec lui. Une fois c'était une exposition d'estampes japonaises: à côté de la mince découpure de soleil rouge et rond comme la lune, un nuage jaune paraissait un lac contre lequel des glaives noirs se profilaient ainsi que les arbres de sa rive, une barre d'un rose tendre que je n'avais jamais revu depuis ma première boîte de couleurs s'enflait comme un fleuve sur les deux rives duquel des bateaux semblaient attendre à sec qu'on vînt les tirer pour les mettre à flot. Et avec le regard dédaigneux, ennuyé et frivole d'un amateur ou d'une femme parcourant, entre deux visites mondaines, une galerie, je me disais: «C'est curieux ce coucher de soleil, c'est différent, mais enfin j'en ai déjà vu d'aussi délicats, d'aussi étonnants que celui-ciJ'avais plus de plaisir les soirs un navire absorbé et fluidifié par l'horizon apparaissait tellement de la même couleur que lui, ainsi que dans une toile impressionniste, qu'il semblait aussi de la même matière, comme si on n'eût fait que découper son avant, et les cordages en lesquels elle s'était amincie et filigranée dans le bleu vaporeux du ciel. 🔊

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