← La vie est semée de ces miracles que peuvent toujours espérer les personnes qui aiment. 🔊✎
← Il me suffisait pour avoir la nostalgie de la campagne, qu'à côté des névés du manchon que tenait Mme Swann, les boules de neige (qui n'avaient peut-être dans la pensée de la maîtresse de la maison d'autre but que de faire, sur les conseils de Bergotte, «symphonie en blanc majeur» avec son ameublement et sa toilette) me rappelassent que l'Enchantement du Vendredi Saint figure un miracle naturel auquel on pourrait assister tous les ans si l'on était plus sage, et aidées du parfum acide et capiteux de corolles d'autres espèces dont j'ignorais les noms et qui m'avait fait rester tant de fois en arrêt dans mes promenades de Combray, rendissent le salon de Mme Swann aussi virginal, aussi candidement fleuri sans aucune feuille, aussi surchargé d'odeurs authentiques, que le petit raidillon de Tansonville. 🔊✎
← Malheureusement ces lieux merveilleux que sont les gares, d'où l'on part pour une destination éloignée, sont aussi des lieux tragiques, car si le miracle s'y accomplit grâce auquel les pays qui n'avaient encore d'existence que dans notre pensée vont être ceux au milieu desquels nous vivrons, pour cette raison même il faut renoncer au sortir de la salle d'attente à retrouver tout à l'heure la chambre familière où l'on était il y a un instant encore. 🔊✎
← C'est le miracle bienfaisant de l'amour-propre que peu de gens pouvant avoir les relations brillantes et les connaissances profondes, ceux auxquels elles font défaut se croient encore les mieux partagés parce que l'optique des gradins sociaux fait que tout rang semble le meilleur à celui qui l'occupe et qui voit moins favorisés que lui, mal lotis, à plaindre, les plus grands qu'il nomme et calomnie sans les connaître, juge et dédaigne sans les comprendre. 🔊✎
← Et si, sous ma fenêtre, le vol inlassable et doux des martinets et des hirondelles n'avait pas monté comme un jet d'eau, comme un feu d'artifice de vie, unissant l'intervalle de ses hautes fusées par la filée immobile et blanche de longs sillages horizontaux, sans le miracle charmant de ce phénomène naturel et local qui rattachait à la réalité les paysages que j'avais devant les yeux, j'aurais pu croire qu'ils n'étaient qu'un choix, chaque jour renouvelé, de peintures qu'on montrait arbitrairement dans l'endroit où je me trouvais et sans qu'elles eussent de rapport nécessaire avec lui. Une fois c'était une exposition d'estampes japonaises: à côté de la mince découpure de soleil rouge et rond comme la lune, un nuage jaune paraissait un lac contre lequel des glaives noirs se profilaient ainsi que les arbres de sa rive, une barre d'un rose tendre que je n'avais jamais revu depuis ma première boîte de couleurs s'enflait comme un fleuve sur les deux rives duquel des bateaux semblaient attendre à sec qu'on vînt les tirer pour les mettre à flot. Et avec le regard dédaigneux, ennuyé et frivole d'un amateur ou d'une femme parcourant, entre deux visites mondaines, une galerie, je me disais: «C'est curieux ce coucher de soleil, c'est différent, mais enfin j'en ai déjà vu d'aussi délicats, d'aussi étonnants que celui-ci.» J'avais plus de plaisir les soirs où un navire absorbé et fluidifié par l'horizon apparaissait tellement de la même couleur que lui, ainsi que dans une toile impressionniste, qu'il semblait aussi de la même matière, comme si on n'eût fait que découper son avant, et les cordages en lesquels elle s'était amincie et filigranée dans le bleu vaporeux du ciel. 🔊✎