← J'aurais peut-être dû pourtant me dire que puisque c'était sincèrement, en m'abandonnant à ma pensée, que d'une part j'avais tant sympathisé avec l'oeuvre de Bergotte et que, d'autre part, j'avais éprouvé au théâtre un désappointement dont je ne connaissais pas les raisons, ces deux mouvements instinctifs qui m'avaient entraîné ne devaient pas être si différents l'un de l'autre, mais obéir aux mêmes lois; et que cet esprit de Bergotte, que j'avais aimé dans ses livres, ne devait pas être quelque chose d'entièrement étranger et hostile à ma déception et à mon incapacité de l'exprimer. 🔊✎
← Devant les pensées, les actions d'une femme que nous aimons, nous sommes aussi désorientés que le pouvaient être devant les phénomènes de la nature, les premiers physiciens (avant que la science fût constituée et eût mis un peu de lumière dans l'inconnu). 🔊✎
← Si indifférent qu'on sache que l'on est à celle qu'on aime encore, on lui prête une série de pensées—fussent-elles d'indifférence—une intention de les manifester, une complication de vie intérieure où l'on est l'objet peut-être d'une antipathie, mais aussi d'une attention permanentes. 🔊✎
← Il me semblait alors que dans quelques années, après que nous nous serions oubliés l'un l'autre, quand je pourrais rétrospectivement lui dire que cette lettre qu'en ce moment j'étais en train de lui écrire n'avait été nullement sincère, elle me répondrait: «Comment, vous, vous m'aimiez? Si vous saviez comme je l'attendais, cette lettre, comme j'espérais un rendez-vous, comme elle me fit pleurer.» La pensée, pendant que je lui écrivais, aussitôt rentré de chez sa mère, que j'étais peut-être en train de consommer précisément ce malentendu-là, cette pensée par sa tristesse même, par le plaisir d'imaginer que j'étais aimé de Gilberte, me poussait à continuer ma lettre. 🔊✎
← Si, au moment de quitter Mme Swann quand son «thé» finissait, je pensais à ce que j'allais écrire à sa fille, Mme Cottard elle, en s'en allant, avait eu des pensées d'un caractère tout différent. 🔊✎
← Je ne sais si, en me faisant croire que cette fille n'était pas pareille aux autres femmes, le charme sauvage de ces lieux ajoutait au sien, mais elle le leur rendait. La vie m'aurait paru délicieuse si seulement j'avais pu, heure par heure, la passer avec elle, l'accompagner jusqu'au torrent, jusqu'à la vache, jusqu'au train, être toujours à ses côtés, me sentir connu d'elle, ayant ma place dans sa pensée. 🔊✎
← C'était à elles que ma pensée s'était agréablement suspendue quand je croyais penser à autre chose ou à rien. 🔊✎
← «Il n'y a pas de jour qu'une ou l'autre d'entre elles ne passe devant l'atelier et n'entre me faire un bout de visite», me dit Elstir, me désespérant ainsi par la pensée que si j'avais été le voir aussitôt que ma grand-mère m'avait demandé de le faire, j'eusse probablement, depuis longtemps déjà, fait la connaissance d'Albertine. 🔊✎
← Elstir à cette époque n'était plus dans la première jeunesse où l'on n'attend que de la puissance de la pensée, la réalisation de son idéal. 🔊✎
← Mais ce tableau, j'eus l'impression de le voir d'un autre point de vue, de très loin de moi-même, comprenant qu'il n'avait pas existé que pour moi, quand quelques mois plus tard, à mon grand étonnement, comme je parlais à Albertine du premier jour où je l'avais connue, elle me rappela l'éclair, la fleur que j'avais donnée, tout ce que je croyais, je ne peux pas dire n'être important que pour moi, mais n'avoir été aperçu que de moi, que je retrouvais ainsi, transcrit en une version dont je ne soupçonnais pas l'existence, dans la pensée d'Albertine. 🔊✎