← Les visites finies (ma grand'mère dispensait que nous en fissions une chez elle, comme nous y dînions ce jour-là) je courus jusqu'aux Champs-Élysées porter à notre marchande pour qu'elle la remît à la personne qui venait plusieurs fois par semaine de chez les Swann y chercher du pain d'épices, la lettre que dès le jour où mon amie m'avait fait tant de peine, j'avais décidé de lui envoyer au nouvel an, et dans laquelle je lui disais que notre amitié ancienne disparaissait avec l'année finie, que j'oubliais mes griefs et mes déceptions et qu'à partir du 1er janvier, c'était une amitié neuve que nous allions bâtir, si solide que rien ne la détruirait, si merveilleuse que j'espérais que Gilberte mettrait quelque coquetterie à lui garder toute sa beauté et à m'avertir à temps comme je promettais de le faire moi-même, aussitôt que surviendrait le moindre péril qui pourrait l'endommager. 🔊✎
← Et ne pouvant revoir ce visage bien-aimé, quelque effort que je fisse pour m'en souvenir, je m'irritais de trouver, dessinés dans ma mémoire avec une exactitude définitive, les visages inutiles et frappants de l'homme des chevaux de bois et de la marchande de sucre d'orge: ainsi ceux qui ont perdu un être aimé qu'ils ne revoient jamais en dormant, s'exaspèrent de rencontrer sans cesse dans leurs rêves tant de gens insupportables et que c'est déjà trop d'avoir connus dans l'état de veille. 🔊✎
← Elle avait fait un ouvrage pour notre marchande des Champs-Élysées et sortit par la neige pour le lui remettre elle-même et sans un jour de retard. 🔊✎
← Je l'emportai avec moi avant d'aller chez les Swann, et en donnant leur adresse au cocher, je lui dis de prendre, par les Champs-Élysées, au coin desquels était le magasin d'un grand marchand de chinoiseries que connaissait mon père. 🔊✎
← Sans doute, cet arrêt chez le marchand de chinoiseries m'avait réjoui en me faisant espérer que je ne verrais plus jamais mon amie que contente de moi et reconnaissante. 🔊✎
← Pourtant un jour où je lui disais dans une lettre que j'avais appris la mort de notre vieille marchande de sucre d'orge des Champs-Élysées, comme je venais d'écrire ces mots: «J'ai pensé que cela vous a fait de la peine, en moi cela a remué bien des souvenirs», je ne pus m'empêcher de fondre en larmes en voyant que je parlais au passé, et comme s'il s'agissait d'un mort déjà presque oublié, de cet amour auquel malgré moi je n'avais jamais cessé de penser comme étant vivant, pouvant du moins renaître. 🔊✎
← Je faisais bénéficier la marchande de lait de ce que c'était mon être complet, apte à goûter de vives jouissances, qui était en face d'elle. 🔊✎
← Elle me dit: «Vous en mangerez et vous en ferez manger aussi à votre grand'mère» et elle fit payer les marchands par le petit nègre habillé en satin rouge qui la suivait partout et qui faisait l'émerveillement de la plage. 🔊✎
← C'est un grand charme ajouté à la vie dans une station balnéaire comme était Balbec, si le visage d'une jolie fille, une marchande de coquillages, de gâteaux ou de fleurs, peint en vives couleurs dans notre pensée, est quotidiennement pour nous dès le matin le but de chacune de ces journées oisives et lumineuses qu'on passe sur la plage. 🔊✎
← Je me figurais d'avance ami avec elles et leur disant «Mais vous n'étiez pas là tel jour?» «Ah! oui, c'est parce que c'était un samedi, le samedi nous ne venons jamais parce que...» Encore si c'était aussi simple que de savoir que le triste samedi il est inutile de s'acharner, qu'on pourrait parcourir la plage en tous sens, s'asseoir à la devanture du pâtissier, faire semblant de manger un éclair, entrer chez le marchand de curiosités, attendre l'heure du bain, le concert, l'arrivée de la marée, le coucher du soleil, la nuit sans voir la petite bande désirée. 🔊✎