← Dans un temps comme le nôtre où la complexité croissante de la vie laisse à peine le temps de lire, où la carte de l'Europe a subi des remaniements profonds et est à la veille d'en subir de plus grands encore peut-être, où tant de problèmes menaçants et nouveaux se posent partout, vous m'accorderez qu'on a le droit de demander à un écrivain d'être autre chose qu'un bel esprit qui nous fait oublier dans des discussions oiseuses et byzantines sur des mérites de pure forme, que nous pouvons être envahis d'un instant à l'autre par un double flot de Barbares, ceux du dehors et ceux du dedans. 🔊✎
← «L'Ambassadeur, lui dit ma mère, assure que nulle part on ne mange de boeuf froid et de soufflés comme les vôtres.» Françoise avec un air de modestie et de rendre hommage à la vérité, l'accorda, sans être, d'ailleurs, impressionnée par le titre d'ambassadeur; elle disait de M. de Norpois, avec l'amabilité due à quelqu'un qui l'avait prise pour un «chef»: «C'est un bon vieux comme moi.» Elle avait bien cherché à l'apercevoir quand il était arrivé, mais sachant que Maman détestait qu'on fût derrière les portes ou aux fenêtres et pensant qu'elle saurait par les autres domestiques ou par les concierges qu'elle avait fait le guet (car Françoise ne voyait partout que «jalousies» et «racontages» qui jouaient dans son imagination le même rôle permanent et funeste que, pour telles autres personnes, les intrigues des jésuites ou des juifs), elle s'était contentée de regarder par la croisée de la cuisine, «pour ne pas avoir des raisons avec Madame» et sur l'aspect sommaire de M. de Norpois, elle avait «cru voir Monsieur Legrand», à cause de son agileté, et bien qu'il n'y eût pas un trait commun entre eux. 🔊✎
← Toutes les idées que je m'étais faites des heures, différentes de celles qui existent pour les autres hommes, que passaient les Swann dans cet appartement qui était pour le temps quotidien de leur vie ce que le corps est pour l'âme, et qui devait en exprimer la singularité, toutes ces idées étaient réparties, amalgamées—partout également troublantes et indéfinissables—dans la place des meubles, dans l'épaisseur des tapis, dans l'orientation des fenêtres, dans le service des domestiques. 🔊✎
← Quand, après le déjeuner, nous allions, au soleil, prendre le café, dans la grande baie du salon, tandis que Mme Swann me demandait combien je voulais de morceaux de sucre dans mon café, ce n'était pas seulement le tabouret de soie qu'elle poussait vers moi qui dégageait avec le charme douloureux que j'avais perçu autrefois—sous l'épine rose, puis à côté du massif de lauriers—dans le nom de Gilberte, l'hostilité que m'avaient témoignée ses parents et que ce petit meuble semblait avoir si bien sue et partagée que je ne me sentais pas digne, et que je me trouvais un peu lâche d'imposer mes pieds à son capitonnage sans défense; une âme personnelle le reliait secrètement à la lumière de deux heures de l'après-midi, différente de ce qu'elle était partout ailleurs dans le golfe où elle faisait jouer à nos pieds ses flots d'or parmi lesquels les canapés bleuâtres et les vaporeuses tapisseries émergeaient comme des îles enchantées; et il n'était pas jusqu'au tableau de Rubens accroché au-dessus de la cheminée qui ne possédât lui aussi le même genre et presque la même puissance de charme que les bottines à lacets de M. Swann et ce manteau à pèlerine dont j'avais tant désiré porter le pareil et que maintenant Odette demandait à son mari de remplacer par un autre, pour être plus élégant, quand je leur faisais l'honneur de sortir avec eux. 🔊✎
← Elle me dit: «Vous en mangerez et vous en ferez manger aussi à votre grand'mère» et elle fit payer les marchands par le petit nègre habillé en satin rouge qui la suivait partout et qui faisait l'émerveillement de la plage. 🔊✎
← C'est possible, car je n'ai jamais rencontré dans la vie de filles aussi désirables que les jours où j'étais avec quelque grave personne que malgré les mille prétextes que j'inventais je ne pouvais quitter: quelques années après celle où j'allai pour la première fois à Balbec, faisant à Paris une course en voiture avec un ami de mon père et ayant aperçu une femme qui marchait vite dans la nuit, je pensai qu'il était déraisonnable de perdre pour une raison de convenances ma part de bonheur dans la seule vie qu'il y ait sans doute, et sautant à terre sans m'excuser, je me mis à la recherche de l'inconnue, la perdis au carrefour de deux rues, la retrouvai dans une troisième, et me trouvai enfin, tout essoufflé, sous un réverbère, en face de la vieille Mme Verdurin que j'évitais partout et qui heureuse et surprise s'écria: «Oh! comme c'est aimable d'avoir couru pour me dire bonjour.» 🔊✎
← J'étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d'un amour particulier, vacantes, où partout—comme un amoureux, la femme dont il est épris—on désire, on cherche, on voit la beauté. 🔊✎
← De même, il arrive souvent qu'à partir d'un certain âge, l'oeil d'un grand chercheur trouve partout les éléments nécessaires à établir les rapports qui seuls l'intéressent. 🔊✎
← Aussitôt l'oeil de l'artiste avait trouvé ce qu'il cherchait partout. 🔊✎
← Ce n'est pas une mauvaise fille mais elle est barbante. Elle n'a pas besoin de venir fourrer son nez partout. 🔊✎