← Il n'empêche que chez lui, l'oeuvre est infiniment supérieure à l'auteur. 🔊✎
← Au haut d'une page on a quitté un amant plein d'espoir, au bas de la suivante on le retrouve octogénaire, accomplissant péniblement dans le préau d'un hospice sa promenade quotidienne, répondant à peine aux paroles qu'on lui adresse, ayant oublié le passé. En disant de moi: «Ce n'est plus un enfant, ses goûts ne changeront plus, etc.», mon père venait tout d'un coup de me faire apparaître à moi-même dans le Temps, et me causait le même genre de tristesse, que si j'avais été non pas encore l'hospitalisé ramolli, mais ces héros dont l'auteur, sur un ton indifférent qui est particulièrement cruel, nous dit à la fin d'un livre: «il quitte de moins en moins la campagne. Il a fini par s'y fixer définitivement, etc.» 🔊✎
← A ces moments-là son maître d'hôtel m'aurait fait plaisir en me demandant de lui donner ma montre, mon épingle de cravate, mes bottines et de signer un acte qui le reconnaissait pour mon héritier: selon la belle expression populaire dont, comme pour les plus célèbres épopées, on ne connaît pas l'auteur, mais qui comme elles et contrairement à la théorie de Wolf en a eu certainement un (un de ces esprits inventifs et modestes ainsi qu'il s'en rencontre chaque année, lesquels font des trouvailles telles que «mettre un nom sur une figure»; mais leur nom à eux, ils ne le font pas connaître), je ne savais plus ce que je faisais. Tout au plus m'étonnais-je quand la visite se prolongeait, à quel néant de réalisation, à quelle absence de conclusion heureuse, conduisaient ces heures vécues dans la demeure enchantée. 🔊✎
← Pourtant, on ne retrouvait pas dans le langage de Bergotte certain éclairage qui dans ses livres comme dans ceux de quelques autres auteurs, modifie souvent dans la phrase écrite l'apparence des mots. 🔊✎
← A cet égard il y avait plus d'intonations, plus d'accent, dans ses livres que dans ses propos; accent indépendant de la beauté du style, que l'auteur lui-même n'a pas perçu sans doute, car il n'est pas séparable de sa personnalité la plus intime. 🔊✎
← Une espèce de sévérité de goût qu'il avait, de volonté de n'écrire jamais que des choses dont il pût dire: «C'est doux», et qui l'avait fait passer tant d'années pour un artiste stérile, précieux, ciseleur de riens, était au contraire le secret de sa force, car l'habitude fait aussi bien le style de l'écrivain que le caractère de l'homme et l'auteur qui s'est plusieurs fois contenté d'atteindre dans l'expression de sa pensée à un certain agrément, pose ainsi pour toujours les bornes de son talent, comme en cédant souvent au plaisir, à la paresse, à la peur de souffrir on dessine soi-même, sur un caractère où la retouche finit par n'être plus possible, la figure de ses vices et les limites de sa vertu. 🔊✎
← Si, pourtant, malgré tant de correspondances que je perçus dans la suite entre l'écrivain et l'homme, je n'avais pas cru au premier moment, chez Mme Swann, que ce fût Bergotte, que ce fût l'auteur de tant de livres divins qui se trouvât devant moi, peut-être n'avais-je pas eu absolument tort, car lui-même (au vrai sens du mot) ne le «croyait» pas non plus. 🔊✎
← Il avait appris qu'il avait du génie, mais il ne le croyait pas puisqu'il continuait à simuler la déférence envers des écrivains médiocres pour arriver à être prochainement académicien, alors que l'Académie ou le faubourg Saint-Germain n'ont pas plus à voir avec la part de l'Esprit éternel laquelle est l'auteur des livres de Bergotte qu'avec le principe de causalité ou l'idée de Dieu. 🔊✎
← Elle ne voyageait jamais sans un tome de l'une et de l'autre. C'était ses deux auteurs de prédilection. 🔊✎
← Elle avait commencé un beau jour à le trouver bête et ridicule parce que les amis qu'elle avait parmi les jeunes auteurs et acteurs, lui avaient assuré qu'il l'était, et elle répétait à son tour ce qu'ils avaient dit avec cette passion, cette absence de réserves qu'on montre chaque fois qu'on reçoit du dehors et qu'on adopte des opinions ou des usages qu'on ignorait entièrement. 🔊✎