← L’ignorance où nous étions de cette brillante vie mondaine que menait Swann tenait évidemment en partie à la réserve et à la discrétion de son caractère, mais aussi à ce que les bourgeois d’alors se faisaient de la société une idée un peu hindoue et la considéraient comme composée de castes fermées où chacun, dès sa naissance, se trouvait placé dans le rang qu’occupaient ses parents, et d’où rien, à moins des hasards d’une carrière exceptionnelle ou d’un mariage inespéré, ne pouvait vous tirer pour vous faire pénétrer dans une caste supérieure. M. Swann, le père, était agent de change; le «fils Swann» se trouvait faire partie pour toute sa vie d’une caste où les fortunes, comme dans une catégorie de contribuables, variaient entre tel et tel revenu. 🔊✎
← Mais je me demandais comment le millionnaire qui lui donnait sa voiture et son hôtel et ses bijoux pouvait avoir du plaisir à manger sa fortune pour une personne qui avait l’air si simple et comme il faut. 🔊✎
← Nos torts même font difficilement départir de ce qu’elles nous doivent ces natures dont ma grand’tante était le modèle, elle qui brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais, ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c’était sa plus proche parente et que cela «se devait». 🔊✎
← Elle n’était avare que pour ma tante; si elle avait géré sa fortune, ce qui eût été son rêve, elle l’aurait préservée des entreprises d’autrui avec une férocité maternelle. 🔊✎
← Peut-être pensait-elle que ceux-là, n’ayant pas besoin des cadeaux de ma tante, ne pouvaient être soupçonnés de l’aimer à cause d’eux. D’ailleurs offerts à des personnes d’une grande position de fortune, à Mme Sazerat, à M. Swann, à M. Legrandin, à Mme Goupil, à des personnes «de même rang» que ma tante et qui «allaient bien ensemble», ils lui apparaissaient comme faisant partie des usages de cette vie étrange et brillante des gens riches qui chassent, se donnent des bals, se font des visites et qu’elle admirait en souriant. 🔊✎
← Or, la dame qu’accompagnait Legrandin était une personne vertueuse et considérée; il ne pouvait être question qu’il fût en bonne fortune et gêné d’être surpris, et mon père se demandait comment il avait pu mécontenter Legrandin. « 🔊✎