← Ma tante se résignait à se priver un peu d’elle pendant notre séjour, sachant combien ma mère appréciait le service de cette bonne si intelligente et active, qui était aussi belle dès cinq heures du matin dans sa cuisine, sous son bonnet dont le tuyautage éclatant et fixe avait l’air d’être en biscuit, que pour aller à la grand’messe; qui faisait tout bien, travaillant comme un cheval, qu’elle fût bien portante ou non, mais sans bruit, sans avoir l’air de rien faire, la seule des bonnes de ma tante qui, quand maman demandait de l’eau chaude ou du café noir, les apportait vraiment bouillants; elle était un de ces serviteurs qui, dans une maison, sont à la fois ceux qui déplaisent le plus au premier abord à un étranger, peut-être parce qu’ils ne prennent pas la peine de faire sa conquête et n’ont pas pour lui de prévenance, sachant très bien qu’ils n’ont aucun besoin de lui, qu’on cesserait de le recevoir plutôt que de les renvoyer; et qui sont en revanche ceux à qui tiennent le plus les maîtres qui ont éprouvé leur capacités réelles, et ne se soucient pas de cet agrément superficiel, de ce bavardage servile qui fait favorablement impression à un visiteur, mais qui recouvre souvent une inéducable nullité. Quand Françoise, après avoir veillé à ce que mes parents eussent tout ce qu’il leur fallait, remontait une première fois chez ma tante pour lui donner sa pepsine et lui demander ce qu’elle prendrait pour déjeuner, il était bien rare qu’il ne fallût pas donner déjà son avis ou fournir des explications sur quelque événement d’importance: —«Françoise, imaginez-vous que Mme Goupil est passée plus d’un quart d’heure en retard pour aller chercher sa sœur; pour peu qu’elle s’attarde sur son chemin cela ne me surprendrait point qu’elle arrive après l’élévation.» 🔊✎
← —«Mais non, Françoise, disait ma tante, c’est-à-dire si, vous savez bien que maintenant les moments où je n’ai pas de faiblesse sont bien rares; un jour je passerai comme Mme Rousseau sans avoir eu le temps de me reconnaître; mais ce n’est pas pour cela que je sonne. Croyez-vous pas que je viens de voir comme je vous vois Mme Goupil avec une fillette que je ne connais point. 🔊✎
← Mais alors nous pourrions bien voir tout à l’heure Mme Sazerat venir sonner chez sa sœur pour le déjeuner. Ce sera ça! J’ai vu le petit de chez Galopin qui passait avec une tarte! Vous verrez que la tarte allait chez Mme Goupil.» 🔊✎
← —«Dès l’instant que Mme Goupil a de la visite, madame Octave, vous n’allez pas tarder à voir tout son monde rentrer pour le déjeuner, car il commence à ne plus être de bonne heure», disait Françoise qui, pressé de redescendre s’occuper du déjeuner, n’était pas fâchée de laisser à ma tante cette distraction en perspective. 🔊✎
← —«Oh! pas avant midi, répondait ma tante d’un ton résigné, tout en jetant sur la pendule un coup d’œil inquiet, mais furtif pour ne pas laisser voir qu’elle, qui avait renoncé à tout, trouvait pourtant, à apprendre que Mme Goupil avait à déjeuner, un plaisir aussi vif, et qui se ferait malheureusement attendre encore un peu plus d’une heure. 🔊✎
← Vous avez une jolie âme, d’une qualité rare, une nature d’artiste, ne la laissez pas manquer de ce qu’il lui faut.» Quand, à notre retour, ma tante nous faisait demander si Mme Goupil était arrivée en retard à la messe, nous étions incapables de la renseigner. 🔊✎
← Elle lui annonçait qu’elle venait de voir passer Mme Goupil «sans parapluie, avec la robe de soie qu’elle s’est fait faire à Châteaudun. Si elle a loin à aller avant vêpres elle pourrait bien la faire saucer». 🔊✎
← Et le plus tôt sera le mieux, car tant que l’orage n’aura pas éclaté, mon eau de Vichy ne descendra pas, ajoutait ma tante dans l’esprit de qui le désir de hâter la descente de l’eau de Vichy l’emportait infiniment sur la crainte de voir Mme Goupil gâter sa robe.» 🔊✎
← Peut-être pensait-elle que ceux-là, n’ayant pas besoin des cadeaux de ma tante, ne pouvaient être soupçonnés de l’aimer à cause d’eux. D’ailleurs offerts à des personnes d’une grande position de fortune, à Mme Sazerat, à M. Swann, à M. Legrandin, à Mme Goupil, à des personnes «de même rang» que ma tante et qui «allaient bien ensemble», ils lui apparaissaient comme faisant partie des usages de cette vie étrange et brillante des gens riches qui chassent, se donnent des bals, se font des visites et qu’elle admirait en souriant. 🔊✎
← Un des dimanches qui suivit la rencontre sur le Pont-Vieux après laquelle mon père avait dû confesser son erreur, comme la messe finissait et qu’avec le soleil et le bruit du dehors quelque chose de si peu sacré entrait dans l’église que Mme Goupil, Mme Percepied (toutes les personnes qui tout à l’heure, à mon arrivée un peu en retard, étaient restées les yeux absorbés dans leur prière et que j’aurais même pu croire ne m’avoir pas vu entrer si, en même temps, leurs pieds n’avaient repoussé légèrement le petit banc qui m’empêchait de gagner ma chaise) commençaient à s’entretenir avec nous à haute voix de sujets tout temporels comme si nous étions déjà sur la place, nous vîmes sur le seuil brûlant du porche, dominant le tumulte bariolé du marché, Legrandin, que le mari de cette dame avec qui nous l’avions dernièrement rencontré, était en train de présenter à la femme d’un autre gros propriétaire terrien des environs. 🔊✎