plutôt

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Même à l’heure elle se manifestait par cette grâce, la conduite de mon père à mon égard gardait ce quelque chose d’arbitraire et d’immérité qui la caractérisait et qui tenait à ce que généralement elle résultait plutôt de convenances fortuites que d’un plan prémédité. 🔊

Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. 🔊

Ma tante se résignait à se priver un peu d’elle pendant notre séjour, sachant combien ma mère appréciait le service de cette bonne si intelligente et active, qui était aussi belle dès cinq heures du matin dans sa cuisine, sous son bonnet dont le tuyautage éclatant et fixe avait l’air d’être en biscuit, que pour aller à la grand’messe; qui faisait tout bien, travaillant comme un cheval, qu’elle fût bien portante ou non, mais sans bruit, sans avoir l’air de rien faire, la seule des bonnes de ma tante qui, quand maman demandait de l’eau chaude ou du café noir, les apportait vraiment bouillants; elle était un de ces serviteurs qui, dans une maison, sont à la fois ceux qui déplaisent le plus au premier abord à un étranger, peut-être parce qu’ils ne prennent pas la peine de faire sa conquête et n’ont pas pour lui de prévenance, sachant très bien qu’ils n’ont aucun besoin de lui, qu’on cesserait de le recevoir plutôt que de les renvoyer; et qui sont en revanche ceux à qui tiennent le plus les maîtres qui ont éprouvé leur capacités réelles, et ne se soucient pas de cet agrément superficiel, de ce bavardage servile qui fait favorablement impression à un visiteur, mais qui recouvre souvent une inéducable nullité. Quand Françoise, après avoir veillé à ce que mes parents eussent tout ce qu’il leur fallait, remontait une première fois chez ma tante pour lui donner sa pepsine et lui demander ce qu’elle prendrait pour déjeuner, il était bien rare qu’il ne fallût pas donner déjà son avis ou fournir des explications sur quelque événement d’importance: —«Françoise, imaginez-vous que Mme Goupil est passée plus d’un quart d’heure en retard pour aller chercher sa sœur; pour peu qu’elle s’attarde sur son chemin cela ne me surprendrait point qu’elle arrive après l’élévation🔊

C’est que, reconnaissant alors ce même goût pour les expressions rares, cette même effusion musicale, cette même philosophie idéaliste qui avait déjà été les autres fois, sans que je m’en rendisse compte, la cause de mon plaisir, je n’eus plus l’impression d’être en présence d’un morceau particulier d’un certain livre de Bergotte, traçant à la surface de ma pensée une figure purement linéaire, mais plutôt du «morceau idéal» de Bergotte, commun à tous ses livres et auquel tous les passages analogues qui venaient se confondre avec lui, auraient donné une sorte d’épaisseur, de volume, dont mon esprit semblait agrandi. 🔊

Comme je n’avais aucune notion sur la hiérarchie sociale, depuis longtemps l’impossibilité que mon père trouvait à ce que nous fréquentions Mme et Mlle Swann avait eu plutôt pour effet, en me faisant imaginer entre elles et nous de grandes distances, de leur donner à mes yeux du prestige. 🔊

Si, quand son petit-fils était un peu enrhumé du cerveau, elle partait la nuit, même malade, au lieu de se coucher, pour voir s’il n’avait besoin de rien, faisant quatre lieues à pied avant le jour afin d’être rentrée pour son travail, en revanche ce même amour des siens et son désir d’assurer la grandeur future de sa maison se traduisait dans sa politique à l’égard des autres domestiques par une maxime constante qui fut de n’en jamais laisser un seul s’implanter chez ma tante, qu’elle mettait d’ailleurs une sorte d’orgueil à ne laisser approcher par personne, préférant, quand elle-même était malade, se relever pour lui donner son eau de Vichy plutôt que de permettre l’accès de la chambre de sa maîtresse à la fille de cuisine. 🔊

Car il y avait autour de Combray deux «côtés» pour les promenades, et si opposés qu’on ne sortait pas en effet de chez nous par la même porte, quand on voulait aller d’un côté ou de l’autre: le côté de Méséglise-la-Vineuse, qu’on appelait aussi le côté de chez Swann parce qu’on passait devant la propriété de M. Swann pour aller par , et le côté de Guermantes. De Méséglise-la-Vineuse, à vrai dire, je n’ai jamais connu que le «côté» et des gens étrangers qui venaient le dimanche se promener à Combray, des gens que, cette fois, ma tante elle-même et nous tous ne «connaissions point» et qu’à ce signe on tenait pour «des gens qui seront venus de Méséglise». Quant à Guermantes je devais un jour en connaître davantage, mais bien plus tard seulement; et pendant toute mon adolescence, si Méséglise était pour moi quelque chose d’inaccessible comme l’horizon, dérobé à la vue, si loin qu’on allât, par les plis d’un terrain qui ne ressemblait déjà plus à celui de Combray, Guermantes lui ne m’est apparu que comme le terme plutôt idéal que réel de son propre «côté», une sorte d’expression géographique abstraite comme la ligne de l’équateur, comme le pôle, comme l’orient. 🔊

Françoise sentait d’ailleurs si bien en lui un pays et un contemporain que, quand ma tante Léonie était trop malade pour que Françoise pût suffire à la retourner dans son lit, à la porter dans son fauteuil, plutôt que de laisser la fille de cuisine monter se faire «bien voir» de ma tante, elle appelait Théodore. 🔊

A peine y songe-t-on comme à un plaisir qu’on aura; plutôt, on l’appelle son charme à elle; car on ne pense pas à soi, on ne pense qu’à sortir de soi. 🔊

Certes, dans les habitudes de Mlle Vinteuil l’apparence du mal était si entière qu’on aurait eu de la peine à la rencontrer réalisée à ce degré de perfection ailleurs que chez une sadique; c’est à la lumière de la rampe des théâtres du boulevard plutôt que sous la lampe d’une maison de campagne véritable qu’on peut voir une fille faire cracher une amie sur le portrait d’un père qui n’a vécu que pour elle; et il n’y a guère que le sadisme qui donne un fondement dans la vie à l’esthétique du mélodrame. 🔊

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