← Certes ces récits faisaient rire ma grand’tante, mais sans qu’elle distinguât bien si c’était à cause du rôle ridicule que s’y donnait toujours Swann ou de l’esprit qu’il mettait à les conter: «On peut dire que vous êtes un vrai type, monsieur Swann!» Comme elle était la seule personne un peu vulgaire de notre famille, elle avait soin de faire remarquer aux étrangers, quand on parlait de Swann, qu’il aurait pu, s’il avait voulu, habiter boulevard Haussmann ou avenue de l’Opéra, qu’il était le fils de M. Swann qui avait dû lui laisser quatre ou cinq millions, mais que c’était sa fantaisie. Fantaisie qu’elle jugeait du reste devoir être si divertissante pour les autres, qu’à Paris, quand M. Swann venait le 1er janvier lui apporter son sac de marrons glacés, elle ne manquait pas, s’il y avait du monde, de lui dire: «Eh bien! M. Swann, vous habitez toujours près de l’Entrepôt des vins, pour être sûr de ne pas manquer le train quand vous prenez le chemin de Lyon?» Et elle regardait du coin de l’œil, par-dessus son lorgnon, les autres visiteurs. 🔊✎
← Je ne dis pas non, répondit Swann étonné. Ce que je reproche aux journaux c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles. 🔊✎
← Ce code, si l’on en jugeait par l’entêtement soudain qu’elle mettait à ne pas vouloir faire certaines commissions que nous lui donnions, semblait avoir prévu des complexités sociales et des raffinements mondains tels que rien dans l’entourage de Françoise et dans sa vie de domestique de village n’avait pu les lui suggérer; et l’on était obligé de se dire qu’il y avait en elle un passé français très ancien, noble et mal compris, comme dans ces cités manufacturières où de vieux hôtels témoignent qu’il y eut jadis une vie de cour, et où les ouvriers d’une usine de produits chimiques travaillent au milieu de délicates sculptures qui représentent le miracle de saint Théophile ou les quatre fils Aymon. 🔊✎
← Mais mon père l’ayant presque traitée de folle en apprenant les livres qu’elle voulait me donner, elle était retournée elle-même à Jouy-le-Vicomte chez le libraire pour que je ne risquasse pas de ne pas avoir mon cadeau (c’était un jour brûlant et elle était rentrée si souffrante que le médecin avait averti ma mère de ne pas la laisser se fatiguer ainsi) et elle s’était rabattue sur les quatre romans champêtres de George Sand. « 🔊✎
← Mais quelquefois ces événements revêtaient un caractère si mystérieux et si grave que ma tante sentait qu’elle ne pourrait pas attendre le moment où Françoise monterait, et quatre coups de sonnette formidables retentissaient dans la maison. 🔊✎
← —«Mais il n’est pas cinq heures, madame Octave, il n’est que quatre heures et demie.» 🔊✎
← —Que quatre heures et demie? et j’ai été obligée de relever les petits rideaux pour avoir un méchant rayon de jour. A quatre heures et demie! 🔊✎
← Mais à peine Françoise était-elle descendue que quatre coups donnés avec la plus grande violence retentissaient dans la maison et ma tante, dressée sur son lit, criait: —«Est-ce qu’Eulalie est déjà partie? Croyez-vous que j’ai oublié de lui demander si Mme Goupil était arrivée à la messe avant l’élévation! Courez vite après elle!» 🔊✎
← Si, quand son petit-fils était un peu enrhumé du cerveau, elle partait la nuit, même malade, au lieu de se coucher, pour voir s’il n’avait besoin de rien, faisant quatre lieues à pied avant le jour afin d’être rentrée pour son travail, en revanche ce même amour des siens et son désir d’assurer la grandeur future de sa maison se traduisait dans sa politique à l’égard des autres domestiques par une maxime constante qui fut de n’en jamais laisser un seul s’implanter chez ma tante, qu’elle mettait d’ailleurs une sorte d’orgueil à ne laisser approcher par personne, préférant, quand elle-même était malade, se relever pour lui donner son eau de Vichy plutôt que de permettre l’accès de la chambre de sa maîtresse à la fille de cuisine. 🔊✎
← Un jour ma mère me dit: «Puisque tu parles toujours de Mme de Guermantes, comme le docteur Percepied l’a très bien soignée il y a quatre ans, elle doit venir à Combray pour assister au mariage de sa fille. Tu pourras l’apercevoir à la cérémonie.» C’était du reste par le docteur Percepied que j’avais le plus entendu parler de Mme de Guermantes, et il nous avait même montré le numéro d’une revue illustrée où elle était représentée dans le costume qu’elle portait à un bal travesti chez la princesse de Léon. 🔊✎