← Mais une fois, mon grand-père lut dans un journal que M. Swann était un des plus fidèles habitués des déjeuners du dimanche chez le duc de X..., dont le père et l’oncle avaient été les hommes d’État les plus en vue du règne de Louis-Philippe. 🔊✎
← L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann s’en serait bien moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but; or, au contraire, comme je l’ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie et personne, aussi bien que lui peut-être, n’aurait pu me comprendre; lui, cette angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas, où l’on ne peut pas le rejoindre, c’est l’amour qui la lui a fait connaître, l’amour auquel elle est en quelque sorte prédestinée, par lequel elle sera accaparée, spécialisée; mais quand, comme pour moi, elle est entrée en nous avant qu’il ait encore fait son apparition dans notre vie, elle flotte en l’attendant, vague et libre, sans affectation déterminée, au service un jour d’un sentiment, le lendemain d’un autre, tantôt de la tendresse filiale ou de l’amitié pour un camarade. 🔊✎
← Et aux lacunes que cette distraction laissait dans le récit, s’ajoutait, quand c’était maman qui me lisait à haute voix, qu’elle passait toutes les scènes d’amour. 🔊✎
← Vous n’oublierez pas au moins de me donner mes œufs à la crème dans une assiette plate?» C’étaient les seules qui fussent ornées de sujets, et ma tante s’amusait à chaque repas à lire la légende de celle qu’on lui servait ce jour-là. 🔊✎
← Si mes parents m’avaient permis, quand je lisais un livre, d’aller visiter la région qu’il décrivait, j’aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité. 🔊✎
← Mais au sujet de Bergotte il avait dit vrai. Les premiers jours, comme un air de musique dont on raffolera, mais qu’on ne distingue pas encore, ce que je devais tant aimer dans son style ne m’apparut pas. Je ne pouvais pas quitter le roman que je lisais de lui, mais me croyais seulement intéressé par le sujet, comme dans ces premiers moments de l’amour où on va tous les jours retrouver une femme à quelque réunion, à quelque divertissement par les agréments desquels on se croit attiré. 🔊✎
← Mais ce n’était qu’alors, quand je les lisais dans son œuvre, que je pouvais en jouir; quand c’était moi qui les composais, préoccupé qu’elles reflétassent exactement ce que j’apercevais dans ma pensée, craignant de ne pas «faire ressemblant», j’avais bien le temps de me demander si ce que j’écrivais était agréable! 🔊✎
← Je ne restai pas pour entendre le récit de mon père, car j’étais justement avec lui après la messe quand nous avions rencontré M. Legrandin, et je descendis à la cuisine demander le menu du dîner qui tous les jours me distrayait comme les nouvelles qu’on lit dans un journal et m’excitait à la façon d’un programme de fête. 🔊✎
← —«Quand je dis nous voir, je veux dire nous voir lire, c’est assommant, quelque chose insignifiante qu’on fasse, de penser que des yeux vous voient.» 🔊✎
← Et j’aurais voulu pouvoir m’asseoir là et rester toute la journée à lire en écoutant les cloches; car il faisait si beau et si tranquille que, quand sonnait l’heure, on aurait dit non qu’elle rompait le calme du jour mais qu’elle le débarrassait de ce qu’il contenait et que le clocher avec l’exactitude indolente et soigneuse d’une personne qui n’a rien d’autre à faire, venait seulement—pour exprimer et laisser tomber les quelques gouttes d’or que la chaleur y avait lentement et naturellement amassées—de presser, au moment voulu, la plénitude du silence. 🔊✎