← Mais une fois, mon grand-père lut dans un journal que M. Swann était un des plus fidèles habitués des déjeuners du dimanche chez le duc de X..., dont le père et l’oncle avaient été les hommes d’État les plus en vue du règne de Louis-Philippe. 🔊✎
← —«Dès l’instant que Mme Goupil a de la visite, madame Octave, vous n’allez pas tarder à voir tout son monde rentrer pour le déjeuner, car il commence à ne plus être de bonne heure», disait Françoise qui, pressé de redescendre s’occuper du déjeuner, n’était pas fâchée de laisser à ma tante cette distraction en perspective. 🔊✎
← Son déjeuner lui était une distraction suffisante pour qu’elle n’en souhaitât pas une autre en même temps. « 🔊✎
← —«Mais à l’église, ils doivent y être déjà; vous ferez bien de ne pas perdre de temps. Allez surveiller votre déjeuner.» 🔊✎
← En réalité, le dimanche, elle ne pensait qu’à cette visite et sitôt le déjeuner fini, Françoise avait hâte que nous quittions la salle à manger pour qu’elle pût monter «occuper» ma tante. 🔊✎
← Aussi,—sous le prétexte qu’une leçon qui avait été déplacée tombait maintenant si mal qu’elle m’avait empêché plusieurs fois et m’empêcherait encore de voir mon oncle—un jour, autre que celui qui était réservé aux visites que nous lui faisions, profitant de ce que mes parents avaient déjeuné de bonne heure, je sortis et au lieu d’aller regarder la colonne d’affiches, pour quoi on me laissait aller seul, je courus jusqu’à lui. 🔊✎
← C’est ainsi que tous les samedis, comme Françoise allait dans l’après-midi au marché de Roussainville-le-Pin, le déjeuner était, pour tout le monde, une heure plus tôt. 🔊✎
← Elle y était si bien «routinée», comme disait Françoise, que s’il lui avait fallu un samedi, attendre pour déjeuner l’heure habituelle, cela l’eût autant «dérangée» que si elle avait dû, un autre jour, avancer son déjeuner à l’heure du samedi. 🔊✎
← Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme: «Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedi!» cependant que ma tante, conférant avec Françoise et songeant que la journée serait plus longue que d’habitude, disait: «Si vous leur faisiez un beau morceau de veau, comme c’est samedi.» Si à dix heures et demie un distrait tirait sa montre en disant: «Allons, encore une heure et demie avant le déjeuner», chacun était enchanté d’avoir à lui dire: «Mais voyons, à quoi pensez-vous, vous oubliez que c’est samedi!»; on en riait encore un quart d’heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l’amuser. 🔊✎
← Après le déjeuner, le soleil, conscient que c’était samedi, flânait une heure de plus au haut du ciel, et quand quelqu’un, pensant qu’on était en retard pour la promenade, disait: «Comment, seulement deux heures?» en voyant passer les deux coups du clocher de Saint-Hilaire (qui ont l’habitude de ne rencontrer encore personne dans les chemins désertés à cause du repas de midi ou de la sieste, le long de la rivière vive et blanche que le pêcheur même a abandonnée, et passent solitaires dans le ciel vacant où ne restent que quelques nuages paresseux), tout le monde en chœur lui répondait: «Mais ce qui vous trompe, c’est qu’on a déjeuné une heure plus tôt, vous savez bien que c’est samedi!» La surprise d’un barbare (nous appelions ainsi tous les gens qui ne savaient pas ce qu’avait de particulier le samedi) qui, étant venu à onze heures pour parler à mon père, nous avait trouvés à table, était une des choses qui, dans sa vie, avaient le plus égayé Françoise. Mais si elle trouvait amusant que le visiteur interloqué ne sût pas que nous déjeunions plus tôt le samedi, elle trouvait plus comique encore (tout en sympathisant du fond du cœur avec ce chauvinisme étroit) que mon père, lui, n’eût pas eu l’idée que ce barbare pouvait l’ignorer et eût répondu sans autre explication à son étonnement de nous voir déjà dans la salle à manger: «Mais voyons, c’est samedi!» Parvenue à ce point de son récit, elle essuyait des larmes d’hilarité et pour accroître le plaisir qu’elle éprouvait, elle prolongeait le dialogue, inventait ce qu’avait répondu le visiteur à qui ce «samedi» n’expliquait rien. Et bien loin de nous plaindre de ses additions, elles ne nous suffisaient pas encore et nous disions: «Mais il me semblait qu’il avait dit aussi autre chose. C’était plus long la première fois quand vous l’avez raconté.» Ma grand’tante elle-même laissait son ouvrage, levait la tête et regardait par-dessus son lorgnon. 🔊✎