← Mais j’avais beau savoir que je n’étais pas dans les demeures dont l’ignorance du réveil m’avait en un instant sinon présenté l’image distincte, du moins fait croire la présence possible, le branle était donné à ma mémoire; généralement je ne cherchais pas à me rendormir tout de suite; je passais la plus grande partie de la nuit à me rappeler notre vie d’autrefois, à Combray chez ma grand’tante, à Balbec, à Paris, à Doncières, à Venise, ailleurs encore, à me rappeler les lieux, les personnes que j’y avais connues, ce que j’avais vu d’elles, ce qu’on m’en avait raconté. A Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand’mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. 🔊✎
← Mais comme dans aucune de ces petites gravures, avec quelque goût que ma mémoire ait pu les exécuter elle ne put mettre ce que j’avais perdu depuis longtemps, le sentiment qui nous fait non pas considérer une chose comme un spectacle, mais y croire comme en un être sans équivalent, aucune d’elles ne tient sous sa dépendance toute une partie profonde de ma vie, comme fait le souvenir de ces aspects du clocher de Combray dans les rues qui sont derrière l’église. 🔊✎
← Celui qui eût refusé d’en goûter en disant: «J’ai fini, je n’ai plus faim», se serait immédiatement ravalé au rang de ces goujats qui, même dans le présent qu’un artiste leur fait d’une de ses œuvres, regardent au poids et à la matière alors que n’y valent que l’intention et la signature. 🔊✎
← Je ne comprenais pas la moitié des mots que disait la dame, mais la crainte que n’y fut cachée quelque question à laquelle il eût été impoli de ne pas répondre, m’empêchait de cesser de les écouter avec attention, et j’en éprouvais une grande fatigue. 🔊✎
← Et on l’aurait encore reçu à Combray si, après ce dîner, comme il venait de m’apprendre—nouvelle qui plus tard eut beaucoup d’influence sur ma vie, et la rendit plus heureuse, puis plus malheureuse—que toutes les femmes ne pensaient qu’à l’amour et qu’il n’y en a pas dont on ne pût vaincre les résistances, il ne m’avait assuré avoir entendu dire de la façon la plus certaine que ma grand’tante avait eu une jeunesse orageuse et avait été publiquement entretenue. Je ne pus me tenir de répéter ces propos à mes parents, on le mit à la porte quand il revint, et quand je l’abordai ensuite dans la rue, il fut extrêmement froid pour moi. 🔊✎
← Mais Françoise doit le savoir maintenant que vous y avez donné une voiture».—«Que je lui ai donné une voiture!» s’écriait ma tante.—«Ah! mais je ne sais pas, moi, je croyais, je l’avais vue qui passait maintenant en calèche, fière comme Artaban, pour aller au marché de Roussainville. J’avais cru que c’était Mme Octave qui lui avait donné.» Peu à peu Françoise et ma tante, comme la bête et le chasseur, ne cessaient plus de tâcher de prévenir les ruses l’une de l’autre. 🔊✎
← Je pouvais d’autant plus facilement le croire (et que les caresses par lesquelles elle m’y ferait parvenir, seraient aussi d’une sorte particulière et dont je n’aurais pas pu connaître le plaisir par une autre qu’elle), que j’étais pour longtemps encore à l’âge où on ne l’a pas encore abstrait ce plaisir de la possession des femmes différentes avec lesquelles on l’a goûté, où on ne l’a pas réduit à une notion générale qui les fait considérer dès lors comme les instruments interchangeables d’un plaisir toujours identique. 🔊✎
← A peine y songe-t-on comme à un plaisir qu’on aura; plutôt, on l’appelle son charme à elle; car on ne pense pas à soi, on ne pense qu’à sortir de soi. 🔊✎
← Je pouvais aller jusqu’au porche de Saint-André-des-Champs; jamais ne s’y trouvait la paysanne que je n’eusse pas manqué d’y rencontrer si j’avais été avec mon grand-père et dans l’impossibilité de lier conversation avec elle. 🔊✎
← Le plus grand charme du côté de Guermantes, c’est qu’on y avait presque tout le temps à côté de soi le cours de la Vivonne. 🔊✎