← Mais même au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier des charges ou d’un testament; notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. 🔊✎
← Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi? 🔊✎
← Et je restais avec mon oncle jusqu’à ce que son valet de chambre vînt lui demander, de la part du cocher, pour quelle heure celui-ci devait atteler. Mon oncle se plongeait alors dans une méditation qu’aurait craint de troubler d’un seul mouvement son valet de chambre émerveillé, et dont il attendait avec curiosité le résultat, toujours identique. 🔊✎
← Car si on a la sensation d’être toujours entouré de son âme, ce n’est pas comme d’une prison immobile: plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l’extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique qui n’est pas écho du dehors mais retentissement d’une vibration interne. 🔊✎
← Ainsi passait la vie pour ma tante Léonie, toujours identique, dans la douce uniformité de ce qu’elle appelait avec un dédain affecté et une tendresse profonde, son «petit traintrain». Préservé par tout le monde, non seulement à la maison, où chacun ayant éprouvé l’inutilité de lui conseiller une meilleure hygiène, s’était peu à peu résigné à le respecter, mais même dans le village où, à trois rues de nous, l’emballeur, avant de clouer ses caisses, faisait demander à Françoise si ma tante ne «reposait pas»,—ce traintrain fut pourtant troublé une fois cette année-là. 🔊✎
← Quand je dis qu’en dehors d’événements très rares, comme cet accouchement, le traintrain de ma tante ne subissait jamais aucune variation, je ne parle pas de celles qui, se répétant toujours identiques à des intervalles réguliers, n’introduisaient au sein de l’uniformité qu’une sorte d’uniformité secondaire. 🔊✎
← Et ainsi—tandis que quelque artiste lisant les Mémoires du XVIIe siècle, et désirant de se rapprocher du grand Roi, croit marcher dans cette voie en se fabriquant une généalogie qui le fait descendre d’une famille historique ou en entretenant une correspondance avec un des souverains actuels de l’Europe, tourne précisément le dos à ce qu’il a le tort de chercher sous des formes identiques et par conséquent mortes,—une vieille dame de province qui ne faisait qu’obéir sincèrement à d’irrésistibles manies et à une méchanceté née de l’oisiveté, voyait sans avoir jamais pensé à Louis XIV les occupations les plus insignifiantes de sa journée, concernant son lever, son déjeuner, son repos, prendre par leur singularité despotique un peu de l’intérêt de ce que Saint-Simon appelait la «mécanique» de la vie à Versailles, et pouvait croire aussi que ses silences, une nuance de bonne humeur ou de hauteur dans sa physionomie, étaient de la part de Françoise l’objet d’un commentaire aussi passionné, aussi craintif que l’étaient le silence, la bonne humeur, la hauteur du Roi quand un courtisan, ou même les plus grands seigneurs, lui avaient remis une supplique, au détour d’une allée, à Versailles. 🔊✎
← Je pouvais d’autant plus facilement le croire (et que les caresses par lesquelles elle m’y ferait parvenir, seraient aussi d’une sorte particulière et dont je n’aurais pas pu connaître le plaisir par une autre qu’elle), que j’étais pour longtemps encore à l’âge où on ne l’a pas encore abstrait ce plaisir de la possession des femmes différentes avec lesquelles on l’a goûté, où on ne l’a pas réduit à une notion générale qui les fait considérer dès lors comme les instruments interchangeables d’un plaisir toujours identique. 🔊✎