Léonie

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Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. 🔊

De ma chambre, je ne pouvais apercevoir que sa base qui avait été recouverte d’ardoises; mais quand, le dimanche, je les voyais, par une chaude matinée d’été, flamboyer comme un soleil noir, je me disais: «Mon-Dieu! neuf heures! il faut se préparer pour aller à la grand’messe si je veux avoir le temps d’aller embrasser tante Léonie avant», et je savais exactement la couleur qu’avait le soleil sur la place, la chaleur et la poussière du marché, l’ombre que faisait le store du magasin maman entrerait peut-être avant la messe dans une odeur de toile écrue, faire emplette de quelque mouchoir que lui ferait montrer, en cambrant la taille, le patron qui, tout en se préparant à fermer, venait d’aller dans l’arrière-boutique passer sa veste du dimanche et se savonner les mains qu’il avait l’habitude, toutes les cinq minutes, même dans les circonstances les plus mélancoliques, de frotter l’une contre l’autre d’un air d’entreprise, de partie fine et de réussite. 🔊

Eulalie était une fille boiteuse, active et sourde qui s’était «retirée» après la mort de Mme de la Bretonnerie elle avait été en place depuis son enfance et qui avait pris à côté de l’église une chambre, d’ elle descendait tout le temps soit aux offices, soit, en dehors des offices, dire une petite prière ou donner un coup de main à Théodore; le reste du temps elle allait voir des personnes malades comme ma tante Léonie à qui elle racontait ce qui s’était passé à la messe ou aux vêpres. 🔊

Ses visites étaient la grande distraction de ma tante Léonie qui ne recevait plus guère personne d’autre, en dehors de M. le Curé. 🔊

Tandis que je lisais au jardin, ce que ma grand’tante n’aurait pas compris que je fisse en dehors du dimanche, jour il est défendu de s’occuper à rien de sérieux et elle ne cousait pas (un jour de semaine, elle m’aurait dit «Comment tu t’amuses encore à lire, ce n’est pourtant pas dimanche» en donnant au mot amusement le sens d’enfantillage et de perte de temps), ma tante Léonie devisait avec Françoise en attendant l’heure d’Eulalie. 🔊

Car ma tante Léonie savait,—ce que j’ignorais encore,—que Françoise qui, pour sa fille, pour ses neveux, aurait donné sa vie sans une plainte, était pour d’autres êtres d’une dureté singulière. 🔊

Nous rentrions toujours de bonne heure de nos promenades pour pouvoir faire une visite à ma tante Léonie avant le dîner. 🔊

Et sans avoir pris le temps d’enlever nos affaires, nous montions vite chez ma tante Léonie pour la rassurer et lui montrer que, contrairement à ce qu’elle imaginait déjà, il ne nous était rien arrivé, mais que nous étions allés «du côté de Guermantes» et, dame, quand on faisait cette promenade-là, ma tante savait pourtant bien qu’on ne pouvait jamais être sûr de l’heure à laquelle on serait rentré. 🔊

—«Mais je croyais que vous le saviez, Léonie, disait maman. Je pensais que Françoise nous avait vus sortir par la petite porte du potager🔊

Françoise sentait d’ailleurs si bien en lui un pays et un contemporain que, quand ma tante Léonie était trop malade pour que Françoise pût suffire à la retourner dans son lit, à la porter dans son fauteuil, plutôt que de laisser la fille de cuisine monter se faire «bien voir» de ma tante, elle appelait Théodore. 🔊

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