← Comme elle croyait qu’il devait être flatté par nos invitations, elle trouvait tout naturel qu’il ne vînt pas nous voir l’été sans avoir à la main un panier de pêches ou de framboises de son jardin et que de chacun de ses voyages d’Italie il m’eût rapporté des photographies de chefs-d’œuvre. 🔊✎
← Il fait aussi moins souvent ce geste qu’il a tout à fait comme son père de s’essuyer les yeux et de se passer la main sur le front. 🔊✎
← Pour mon père, dont l’affection pour moi était d’une autre sorte, je ne sais pas s’il aurait eu ce courage: pour une fois où il venait de comprendre que j’avais du chagrin, il avait dit à ma mère: «Va donc le consoler.» Maman resta cette nuit-là dans ma chambre et, comme pour ne gâter d’aucun remords ces heures si différentes de ce que j’avais eu le droit d’espérer, quand Françoise, comprenant qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire en voyant maman assise près de moi, qui me tenait la main et me laissait pleurer sans me gronder, lui demanda: «Mais Madame, qu’a donc Monsieur à pleurer ainsi?» maman lui répondit: «Mais il ne sait pas lui-même, Françoise, il est énervé; préparez-moi vite le grand lit et montez vous coucher.» Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable; j’avais le soulagement de n’avoir plus à mêler de scrupules à l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. 🔊✎
← Eulalie était une fille boiteuse, active et sourde qui s’était «retirée» après la mort de Mme de la Bretonnerie où elle avait été en place depuis son enfance et qui avait pris à côté de l’église une chambre, d’où elle descendait tout le temps soit aux offices, soit, en dehors des offices, dire une petite prière ou donner un coup de main à Théodore; le reste du temps elle allait voir des personnes malades comme ma tante Léonie à qui elle racontait ce qui s’était passé à la messe ou aux vêpres. 🔊✎
← Je me levai, j’avais une envie irrésistible de baiser la main de la dame en rose, mais il me semblait que c’eût été quelque chose d’audacieux comme un enlèvement. 🔊✎
← Et d’un geste aveugle et insensé, dépouillé de toutes les raisons que je trouvais il y avait un moment en sa faveur, je portai à mes lèvres la main qu’elle me tendait. 🔊✎
← —«Tenez, ma pauvre Eulalie, disait-elle d’une voix faible, en tirant une pièce d’une petite bourse qu’elle avait à portée de sa main, voilà pour que vous ne m’oubliez pas dans vos prières.» —«Ah! mais, madame Octave, je ne sais pas si je dois, vous savez bien que ce n’est pas pour cela que je viens!» disait Eulalie avec la même hésitation et le même embarras, chaque fois, que si c’était la première, et avec une apparence de mécontentement qui égayait ma tante mais ne lui déplaisait pas, car si un jour Eulalie, en prenant la pièce, avait un air un peu moins contrarié que de coutume, ma tante disait: —«Je ne sais pas ce qu’avait Eulalie; je lui ai pourtant donné la même chose que d’habitude, elle n’avait pas l’air contente.» 🔊✎
← Voilà-t-il pas que je rêvais que mon pauvre Octave était ressuscité et qu’il voulait me faire faire une promenade tous les jours!» Sa main se tendit vers son chapelet qui était sur la petite table, mais le sommeil recommençant ne lui laissa pas la force de l’atteindre: elle se rendormit, tranquillisée, et je sortis à pas de loup de la chambre sans qu’elle ni personne eût jamais appris ce que j’avais entendu. 🔊✎
← Je la regardais, d’abord de ce regard qui n’est pas que le porte-parole des yeux, mais à la fenêtre duquel se penchent tous les sens, anxieux et pétrifiés, le regard qui voudrait toucher, capturer, emmener le corps qu’il regarde et l’âme avec lui; puis, tant j’avais peur que d’une seconde à l’autre mon grand-père et mon père, apercevant cette jeune fille, me fissent éloigner en me disant de courir un peu devant eux, d’un second regard, inconsciemment supplicateur, qui tâchait de la forcer à faire attention à moi, à me connaître! Elle jeta en avant et de côté ses pupilles pour prendre connaissance de mon grand’père et de mon père, et sans doute l’idée qu’elle en rapporta fut celle que nous étions ridicules, car elle se détourna et d’un air indifférent et dédaigneux, se plaça de côté pour épargner à son visage d’être dans leur champ visuel; et tandis que continuant à marcher et ne l’ayant pas aperçue, ils m’avaient dépassé, elle laissa ses regards filer de toute leur longueur dans ma direction, sans expression particulière, sans avoir l’air de me voir, mais avec une fixité et un sourire dissimulé, que je ne pouvais interpréter d’après les notions que l’on m’avait données sur la bonne éducation, que comme une preuve d’outrageant mépris; et sa main esquissait en même temps un geste indécent, auquel quand il était adressé en public à une personne qu’on ne connaissait pas, le petit dictionnaire de civilité que je portais en moi ne donnait qu’un seul sens, celui d’une intention insolente. 🔊✎
← Au-dessus de la porte, les Saints, les rois-chevaliers une fleur de lys à la main, des scènes de noces et de funérailles, étaient représentés comme ils pouvaient l’être dans l’âme de Françoise. 🔊✎