← L’espérance d’être soulagé lui donne du courage pour souffrir. 🔊✎
← Pour mon père, dont l’affection pour moi était d’une autre sorte, je ne sais pas s’il aurait eu ce courage: pour une fois où il venait de comprendre que j’avais du chagrin, il avait dit à ma mère: «Va donc le consoler.» Maman resta cette nuit-là dans ma chambre et, comme pour ne gâter d’aucun remords ces heures si différentes de ce que j’avais eu le droit d’espérer, quand Françoise, comprenant qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire en voyant maman assise près de moi, qui me tenait la main et me laissait pleurer sans me gronder, lui demanda: «Mais Madame, qu’a donc Monsieur à pleurer ainsi?» maman lui répondit: «Mais il ne sait pas lui-même, Françoise, il est énervé; préparez-moi vite le grand lit et montez vous coucher.» Ainsi, pour la première fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable; j’avais le soulagement de n’avoir plus à mêler de scrupules à l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. 🔊✎
← Je dînai avec Legrandin sur sa terrasse; il faisait clair de lune: «Il y a une jolie qualité de silence, n’est-ce pas, me dit-il; aux cœurs blessés comme l’est le mien, un romancier que vous lirez plus tard, prétend que conviennent seulement l’ombre et le silence. Et voyez-vous, mon enfant, il vient dans la vie une heure dont vous êtes bien loin encore où les yeux las ne tolèrent plus qu’une lumière, celle qu’une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l’obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.» J’écoutais les paroles de M. Legrandin qui me paraissaient toujours si agréables; mais troublé par le souvenir d’une femme que j’avais aperçue dernièrement pour la première fois, et pensant, maintenant que je savais que Legrandin était lié avec plusieurs personnalités aristocratiques des environs, que peut-être il connaissait celle-ci, prenant mon courage, je lui dis: «Est-ce que vous connaissez, monsieur, la... les châtelaines de Guermantes», heureux aussi en prononçant ce nom de prendre sur lui une sorte de pouvoir, par le seul fait de le tirer de mon rêve et de lui donner une existence objective et sonore. 🔊✎