Legrandin

www.linternaute.fr

Un jour, ayant rencontré dans un livre de Bergotte, à propos d’une vieille servante, une plaisanterie que le magnifique et solennel langage de l’écrivain rendait encore plus ironique mais qui était la même que j’avais souvent faite à ma grand’mère en parlant de Françoise, une autre fois je vis qu’il ne jugeait pas indigne de figurer dans un de ces miroirs de la vérité qu’étaient ses ouvrages, une remarque analogue à celle que j’avais eu l’occasion de faire sur notre ami M. Legrandin (remarques sur Françoise et M. Legrandin qui étaient certes de celles que j’eusse le plus délibérément sacrifiées à Bergotte, persuadé qu’il les trouverait sans intérêt), il me sembla soudain que mon humble vie et les royaumes du vrai n’étaient pas aussi séparés que j’avais cru, qu’ils coïncidaient même sur certains points, et de confiance et de joie je pleurai sur les pages de l’écrivain comme dans les bras d’un père retrouvé. 🔊

Mais mon père prenant la parole: —«Je veux profiter, dit-il, de ce que toute la famille est réunie pour vous faire un récit sans avoir besoin de le recommencer à chacun. J’ai peur que nous ne soyons fâchés avec Legrandin: il m’a à peine dit bonjour ce matin🔊

Je ne restai pas pour entendre le récit de mon père, car j’étais justement avec lui après la messe quand nous avions rencontré M. Legrandin, et je descendis à la cuisine demander le menu du dîner qui tous les jours me distrayait comme les nouvelles qu’on lit dans un journal et m’excitait à la façon d’un programme de fête. 🔊

Mais le jour , pendant que mon père consultait le conseil de famille sur la rencontre de Legrandin, je descendis à la cuisine, était un de ceux la Charité de Giotto, très malade de son accouchement récent, ne pouvait se lever; Françoise, n’étant plus aidée, était en retard. 🔊

Mais ce que je comprenais c’est que Legrandin n’était pas tout à fait véridique quand il disait n’aimer que les églises, le clair de lune et la jeunesse; il aimait beaucoup les gens des châteaux et se trouvait pris devant eux d’une si grande peur de leur déplaire qu’il n’osait pas leur laisser voir qu’il avait pour amis des bourgeois, des fils de notaires ou d’agents de change, préférant, si la vérité devait se découvrir, que ce fût en son absence, loin de lui et «par défaut»; il était snob. Sans doute il ne disait jamais rien de tout cela dans le langage que mes parents et moi-même nous aimions tant. 🔊

Et certes cela ne veut pas dire que M. Legrandin ne fût pas sincère quand il tonnait contre les snobs. Il ne pouvait pas savoir, au moins par lui-même, qu’il le fût, puisque nous ne connaissons jamais que les passions des autres, et que ce que nous arrivons à savoir des nôtres, ce n’est que d’eux que nous avons pu l’apprendre. 🔊

Seuls les autres savaient qu’il en était un; car, grâce à l’incapacité ils étaient de comprendre le travail intermédiaire de son imagination, ils voyaient en face l’une de l’autre l’activité mondaine de Legrandin et sa cause première. 🔊

Mais maman riait de ses craintes, pensant à part elle que le danger n’était pas si menaçant, que Legrandin ne serait pas si pressé de nous mettre en relations avec sa sœur. 🔊

Or, sans qu’on eût besoin de lui parler de Balbec, ce fut lui-même, Legrandin, qui, ne se doutant pas que nous eussions jamais l’intention d’aller de ce côté, vint se mettre dans le piège un soir nous le rencontrâmes au bord de la Vivonne. 🔊

—« comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite; beaucoup les choses et fort peu les personnes. 🔊

Frequency index

Alphabetical index