← Mme Loiseau avait beau avoir à sa fenêtre des fuchsias, qui prenaient la mauvaise habitude de laisser leurs branches courir toujours partout tête baissée, et dont les fleurs n’avaient rien de plus pressé, quand elles étaient assez grandes, que d’aller rafraîchir leurs joues violettes et congestionnées contre la sombre façade de l’église, les fuchsias ne devenaient pas sacrés pour cela pour moi; entre les fleurs et la pierre noircie sur laquelle elles s’appuyaient, si mes yeux ne percevaient pas d’intervalle, mon esprit réservait un abîme. 🔊✎
← Je n’étais pas tout à fait le seul admirateur de Bergotte; il était aussi l’écrivain préféré d’une amie de ma mère qui était très lettrée; enfin pour lire son dernier livre paru, le docteur du Boulbon faisait attendre ses malades; et ce fut de son cabinet de consultation, et d’un parc voisin de Combray, que s’envolèrent quelques-unes des premières graines de cette prédilection pour Bergotte, espèce si rare alors, aujourd’hui universellement répandue, et dont on trouve partout en Europe, en Amérique, jusque dans le moindre village, la fleur idéale et commune. 🔊✎
← Dans un dernier effort désespéré, le regard souriant de Legrandin atteignit son maximum de tendresse, de vague, de sincérité et de distraction, mais, pensant sans doute qu’il n’y avait plus qu’à répondre, il nous dit: —«J’ai des amis partout où il y a des groupes d’arbres blessés, mais non vaincus, qui se sont rapprochés pour implorer ensemble avec une obstination pathétique un ciel inclément qui n’a pas pitié d’eux. 🔊✎
← —«Là comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite; beaucoup les choses et fort peu les personnes. 🔊✎
← Obscurcie par l’ombre des grands arbres qui l’entouraient, une pièce d’eau avait été creusée par les parents de Swann; mais dans ses créations les plus factices, c’est sur la nature que l’homme travaille; certains lieux font toujours régner autour d’eux leur empire particulier, arborent leurs insignes immémoriaux au milieu d’un parc comme ils auraient fait loin de toute intervention humaine, dans une solitude qui revient partout les entourer, surgie des nécessités de leur exposition et superposée à l’œuvre humaine. 🔊✎
← Et certes, je l’avais tout de suite senti, comme devant les épines blanches mais avec plus d’émerveillement, que ce n’était pas facticement, par un artifice de fabrication humaine, qu’était traduite l’intention de festivité dans les fleurs, mais que c’était la nature qui, spontanément, l’avait exprimée avec la naïveté d’une commerçante de village travaillant pour un reposoir, en surchargeant l’arbuste de ces rosettes d’un ton trop tendre et d’un pompadour provincial. Au haut des branches, comme autant de ces petits rosiers aux pots cachés dans des papiers en dentelles, dont aux grandes fêtes on faisait rayonner sur l’autel les minces fusées, pullulaient mille petits boutons d’une teinte plus pâle qui, en s’entr’ouvrant, laissaient voir, comme au fond d’une coupe de marbre rose, de rouges sanguines et trahissaient plus encore que les fleurs, l’essence particulière, irrésistible, de l’épine, qui, partout où elle bourgeonnait, où elle allait fleurir, ne le pouvait qu’en rose. 🔊✎
← Cette année-là, quand, un peu plus tôt que d’habitude, mes parents eurent fixé le jour de rentrer à Paris, le matin du départ, comme on m’avait fait friser pour être photographié, coiffer avec précaution un chapeau que je n’avais encore jamais mis et revêtir une douillette de velours, après m’avoir cherché partout, ma mère me trouva en larmes dans le petit raidillon, contigu à Tansonville, en train de dire adieu aux aubépines, entourant de mes bras les branches piquantes, et, comme une princesse de tragédie à qui pèseraient ces vains ornements, ingrat envers l’importune main qui en formant tous ces nœuds avait pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux, foulant aux pieds mes papillotes arrachées et mon chapeau neuf. 🔊✎