bras

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Que vers le matin après quelque insomnie, le sommeil le prenne en train de lire, dans une posture trop différente de celle il dort habituellement, il suffit de son bras soulevé pour arrêter et faire reculer le soleil, et à la première minute de son réveil, il ne saura plus l’heure, il estimera qu’il vient à peine de se coucher. 🔊

Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger, la grosse lampe de la suspension, ignorante de Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le bœuf à la casserole, donnait sa lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules. 🔊

Mais si l’on avait dit à ma grand’mère que ce Swann qui, en tant que fils Swann était parfaitement «qualifié» pour être reçu par toute la «belle bourgeoisie», par les notaires ou les avoués les plus estimés de Paris (privilège qu’il semblait laisser tomber un peu en quenouille), avait, comme en cachette, une vie toute différente; qu’en sortant de chez nous, à Paris, après nous avoir dit qu’il rentrait se coucher, il rebroussait chemin à peine la rue tournée et se rendait dans tel salon que jamais l’œil d’aucun agent ou associé d’agent ne contempla, cela eût paru aussi extraordinaire à ma tante qu’aurait pu l’être pour une dame plus lettrée la pensée d’être personnellement liée avec Aristée dont elle aurait compris qu’il allait, après avoir causé avec elle, plonger au sein des royaumes de Thétis, dans un empire soustrait aux yeux des mortels et Virgile nous le montre reçu à bras ouverts; ou, pour s’en tenir à une image qui avait plus de chance de lui venir à l’esprit, car elle l’avait vue peinte sur nos assiettes à petits fours de Combrayd’avoir eu à dîner Ali-Baba, lequel quand il se saura seul, pénétrera dans la caverne, éblouissante de trésors insoupçonnés. 🔊

Il y avait eu dans mon enfance, avant que nous allions à Combray, quand ma tante Léonie passait encore l’hiver à Paris chez sa mère, un temps je connaissais si peu Françoise que, le 1er janvier, avant d’entrer chez ma grand’tante, ma mère me mettait dans la main une pièce de cinq francs et me disait: «Surtout ne te trompe pas de personne. Attends pour donner que tu m’entendes dire: «Bonjour Françoise»; en même temps je te toucherai légèrement le bras. 🔊

—«Ah! je vous crois bien, ma pauvre Françoise, répondait ma tante en haussant les épaules, chez M. le Curé! Vous savez bien qu’il ne fait pousser que de petites méchantes asperges de rien. Je vous dis que celles-là étaient grosses comme le bras. Pas comme le vôtre, bien sûr, mais comme mon pauvre bras qui a encore tant maigri cette année🔊

Un jour, ayant rencontré dans un livre de Bergotte, à propos d’une vieille servante, une plaisanterie que le magnifique et solennel langage de l’écrivain rendait encore plus ironique mais qui était la même que j’avais souvent faite à ma grand’mère en parlant de Françoise, une autre fois je vis qu’il ne jugeait pas indigne de figurer dans un de ces miroirs de la vérité qu’étaient ses ouvrages, une remarque analogue à celle que j’avais eu l’occasion de faire sur notre ami M. Legrandin (remarques sur Françoise et M. Legrandin qui étaient certes de celles que j’eusse le plus délibérément sacrifiées à Bergotte, persuadé qu’il les trouverait sans intérêt), il me sembla soudain que mon humble vie et les royaumes du vrai n’étaient pas aussi séparés que j’avais cru, qu’ils coïncidaient même sur certains points, et de confiance et de joie je pleurai sur les pages de l’écrivain comme dans les bras d’un père retrouvé. 🔊

Ma mère lui disait avec admiration: «Tu es extraordinaireEt à partir de cet instant, je n’avais plus un seul pas à faire, le sol marchait pour moi dans ce jardin depuis si longtemps mes actes avaient cessé d’être accompagnés d’attention volontaire: l’Habitude venait de me prendre dans ses bras et me portait jusqu’à mon lit comme un petit enfant. 🔊

Parfois à l’exaltation que me donnait la solitude, s’en ajoutait une autre que je ne savais pas en départager nettement, causée par le désir de voir surgir devant moi une paysanne, que je pourrais serrer dans mes bras. 🔊

Je fixais indéfiniment le tronc d’un arbre lointain, de derrière lequel elle allait surgir et venir à moi; l’horizon scruté restait désert, la nuit tombait, c’était sans espoir que mon attention s’attachait, comme pour aspirer les créatures qu’ils pouvaient recéler, à ce sol stérile, à cette terre épuisée; et ce n’était plus d’allégresse, c’était de rage que je frappais les arbres du bois de Roussainville d’entre lesquels ne sortait pas plus d’êtres vivants que s’ils eussent été des arbres peints sur la toile d’un panorama, quand, ne pouvant me résigner à rentrer à la maison avant d’avoir serré dans mes bras la femme que j’avais tant désirée, j’étais pourtant obligé de reprendre le chemin de Combray en m’avouant à moi-même qu’était de moins en moins probable le hasard qui l’eût mise sur mon chemin. 🔊

Comme j’aurais donné tout cela pour pouvoir pleurer toute la nuit dans les bras de maman! Je frissonnais, je ne détachais pas mes yeux angoissés du visage de ma mère, qui n’apparaîtrait pas ce soir dans la chambre je me voyais déjà par la pensée, j’aurais voulu mourir. 🔊

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