← Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger, où la grosse lampe de la suspension, ignorante de Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le bœuf à la casserole, donnait sa lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules. 🔊✎
← —«Non, madame Octave.» —«Ah! ma pauvre fille, il faut que vous l’ayez solide votre tête, vous pouvez remercier le Bon Dieu. C’était la Maguelone qui était venue chercher le docteur Piperaud. Il est ressorti tout de suite avec elle et ils ont tourné par la rue de l’Oiseau. Il faut qu’il y ait quelque enfant de malade.» —«Eh! là, mon Dieu», soupirait Françoise, qui ne pouvait pas entendre parler d’un malheur arrivé à un inconnu, même dans une partie du monde éloignée, sans commencer à gémir. 🔊✎
← Qu’un malheur le frappe, ce n’est qu’en une petite partie de la notion totale que nous avons de lui, que nous pourrons en être émus; bien plus, ce n’est qu’en une partie de la notion totale qu’il a de soi qu’il pourra l’être lui-même. 🔊✎
← Et une fois que le romancier nous a mis dans cet état, où comme dans tous les états purement intérieurs, toute émotion est décuplée, où son livre va nous troubler à la façon d’un rêve mais d’un rêve plus clair que ceux que nous avons en dormant et dont le souvenir durera davantage, alors, voici qu’il déchaîne en nous pendant une heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la vie des années à connaître quelques-uns, et dont les plus intenses ne nous seraient jamais révélés parce que la lenteur avec laquelle ils se produisent nous en ôte la perception; (ainsi notre cœur change, dans la vie, et c’est la pire douleur; mais nous ne la connaissons que dans la lecture, en imagination: dans la réalité il change, comme certains phénomènes de la nature se produisent, assez lentement pour que, si nous pouvons constater successivement chacun de ses états différents, en revanche la sensation même du changement nous soit épargnée). 🔊✎
← La pauvre Charité de Giotto, comme l’appelait Swann, chargée par Françoise de les «plumer», les avait près d’elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre; et les légères couronnes d’azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue. 🔊✎
← Je me rendis compte que, en dehors de ceux de sa parenté, les humains excitaient d’autant plus sa pitié par leurs malheurs, qu’ils vivaient plus éloignés d’elle. 🔊✎
← Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille, ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin. 🔊✎
← Quel homme exquis! Quel malheur qu’il ait fait un mariage tout à fait déplacé.» 🔊✎