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Mais j’avais beau savoir que je n’étais pas dans les demeures dont l’ignorance du réveil m’avait en un instant sinon présenté l’image distincte, du moins fait croire la présence possible, le branle était donné à ma mémoire; généralement je ne cherchais pas à me rendormir tout de suite; je passais la plus grande partie de la nuit à me rappeler notre vie d’autrefois, à Combray chez ma grand’tante, à Balbec, à Paris, à Doncières, à Venise, ailleurs encore, à me rappeler les lieux, les personnes que j’y avais connues, ce que j’avais vu d’elles, ce qu’on m’en avait raconté. A Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand’mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. 🔊

Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger, la grosse lampe de la suspension, ignorante de Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le bœuf à la casserole, donnait sa lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules. 🔊

Ma tante se résignait à se priver un peu d’elle pendant notre séjour, sachant combien ma mère appréciait le service de cette bonne si intelligente et active, qui était aussi belle dès cinq heures du matin dans sa cuisine, sous son bonnet dont le tuyautage éclatant et fixe avait l’air d’être en biscuit, que pour aller à la grand’messe; qui faisait tout bien, travaillant comme un cheval, qu’elle fût bien portante ou non, mais sans bruit, sans avoir l’air de rien faire, la seule des bonnes de ma tante qui, quand maman demandait de l’eau chaude ou du café noir, les apportait vraiment bouillants; elle était un de ces serviteurs qui, dans une maison, sont à la fois ceux qui déplaisent le plus au premier abord à un étranger, peut-être parce qu’ils ne prennent pas la peine de faire sa conquête et n’ont pas pour lui de prévenance, sachant très bien qu’ils n’ont aucun besoin de lui, qu’on cesserait de le recevoir plutôt que de les renvoyer; et qui sont en revanche ceux à qui tiennent le plus les maîtres qui ont éprouvé leur capacités réelles, et ne se soucient pas de cet agrément superficiel, de ce bavardage servile qui fait favorablement impression à un visiteur, mais qui recouvre souvent une inéducable nullité. Quand Françoise, après avoir veillé à ce que mes parents eussent tout ce qu’il leur fallait, remontait une première fois chez ma tante pour lui donner sa pepsine et lui demander ce qu’elle prendrait pour déjeuner, il était bien rare qu’il ne fallût pas donner déjà son avis ou fournir des explications sur quelque événement d’importance: —«Françoise, imaginez-vous que Mme Goupil est passée plus d’un quart d’heure en retard pour aller chercher sa sœur; pour peu qu’elle s’attarde sur son chemin cela ne me surprendrait point qu’elle arrive après l’élévation🔊

—«Dès l’instant que Mme Goupil a de la visite, madame Octave, vous n’allez pas tarder à voir tout son monde rentrer pour le déjeuner, car il commence à ne plus être de bonne heure», disait Françoise qui, pressé de redescendre s’occuper du déjeuner, n’était pas fâchée de laisser à ma tante cette distraction en perspective. 🔊

Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme: «Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedicependant que ma tante, conférant avec Françoise et songeant que la journée serait plus longue que d’habitude, disait: «Si vous leur faisiez un beau morceau de veau, comme c’est samediSi à dix heures et demie un distrait tirait sa montre en disant: «Allons, encore une heure et demie avant le déjeuner», chacun était enchanté d’avoir à lui dire: «Mais voyons, à quoi pensez-vous, vous oubliez que c’est samedi!»; on en riait encore un quart d’heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l’amuser. 🔊

Toutes les séductions singulières que je mettais dans ce nom de Swann, je les retrouvais en lui dès qu’ils le prononçaient. 🔊

Si le temps était mauvais dès le matin, mes parents renonçaient à la promenade et je ne sortais pas. 🔊

Je pouvais d’autant plus facilement le croire (et que les caresses par lesquelles elle m’y ferait parvenir, seraient aussi d’une sorte particulière et dont je n’aurais pas pu connaître le plaisir par une autre qu’elle), que j’étais pour longtemps encore à l’âge on ne l’a pas encore abstrait ce plaisir de la possession des femmes différentes avec lesquelles on l’a goûté, on ne l’a pas réduit à une notion générale qui les fait considérer dès lors comme les instruments interchangeables d’un plaisir toujours identique. 🔊

Ils n’avaient plus de lien avec la nature, avec la réalité qui dès lors perdait tout charme et toute signification et n’était plus à ma vie qu’un cadre conventionnel comme l’est à la fiction d’un roman le wagon sur la banquette duquel le voyageur le lit pour tuer le temps. C’est peut-être d’une impression ressentie aussi auprès de Montjouvain, quelques années plus tard, impression restée obscure alors, qu’est sortie, bien après, l’idée que je me suis faite du sadisme. On verra plus tard que, pour de tout autres raisons, le souvenir de cette impression devait jouer un rôle important dans ma vie. 🔊

Mais cette Mme de Guermantes à laquelle j’avais si souvent rêvé, maintenant que je voyais qu’elle existait effectivement en dehors de moi, en prit plus de puissance encore sur mon imagination qui, un moment paralysée au contact d’une réalité si différente de ce qu’elle attendait, se mit à réagir et à me dire: «Glorieux dès avant Charlemagne, les Guermantes avaient le droit de vie et de mort sur leurs vassaux; la duchesse de Guermantes descend de Geneviève de Brabant. 🔊

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