← Et dès qu’on sonnait le dîner, j’avais hâte de courir à la salle à manger, où la grosse lampe de la suspension, ignorante de Golo et de Barbe-Bleue, et qui connaissait mes parents et le bœuf à la casserole, donnait sa lumière de tous les soirs; et de tomber dans les bras de maman que les malheurs de Geneviève de Brabant me rendaient plus chère, tandis que les crimes de Golo me faisaient examiner ma propre conscience avec plus de scrupules. 🔊✎
← Sans doute le Swann que connurent à la même époque tant de clubmen était bien différent de celui que créait ma grand’tante, quand le soir, dans le petit jardin de Combray, après qu’avaient retenti les deux coups hésitants de la clochette, elle injectait et vivifiait de tout ce qu’elle savait sur la famille Swann, l’obscur et incertain personnage qui se détachait, suivi de ma grand’mère, sur un fond de ténèbres, et qu’on reconnaissait à la voix. 🔊✎
← Mais je la suivis; je ne pouvais me décider à la quitter d’un pas en pensant que tout à l’heure il faudrait que je la laisse dans la salle à manger et que je remonte dans ma chambre sans avoir comme les autres soirs la consolation qu’elle vînt m’embrasser. « 🔊✎
← Mais voici qu’avant que le dîner fût sonné mon grand-père eut la férocité inconsciente de dire: «Le petit a l’air fatigué, il devrait monter se coucher. On dîne tard du reste ce soir.» Et mon père, qui ne gardait pas aussi scrupuleusement que ma grand’mère et que ma mère la foi des traités, dit: «Oui, allons, vas te coucher.» Je voulus embrasser maman, à cet instant on entendit la cloche du dîner. « 🔊✎
← En réalité ils n’ont jamais cessé; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir. 🔊✎
← Je savais qu’une telle nuit ne pourrait se renouveler; que le plus grand désir que j’eusse au monde, garder ma mère dans ma chambre pendant ces tristes heures nocturnes, était trop en opposition avec les nécessités de la vie et le vœu de tous, pour que l’accomplissement qu’on lui avait accordé ce soir pût être autre chose que factice et exceptionnel. 🔊✎
← Or, sans qu’on eût besoin de lui parler de Balbec, ce fut lui-même, Legrandin, qui, ne se doutant pas que nous eussions jamais l’intention d’aller de ce côté, vint se mettre dans le piège un soir où nous le rencontrâmes au bord de la Vivonne. 🔊✎
← Alors me rappelant ce regard qu’elle avait laissé s’arrêter sur moi, pendant la messe, bleu comme un rayon de soleil qui aurait traversé le vitrail de Gilbert le Mauvais, je me dis: «Mais sans doute elle fait attention à moi.» Je crus que je lui plaisais, qu’elle penserait encore à moi quand elle aurait quitté l’église, qu’à cause de moi elle serait peut-être triste le soir à Guermantes. 🔊✎
← Comme j’aurais donné tout cela pour pouvoir pleurer toute la nuit dans les bras de maman! Je frissonnais, je ne détachais pas mes yeux angoissés du visage de ma mère, qui n’apparaîtrait pas ce soir dans la chambre où je me voyais déjà par la pensée, j’aurais voulu mourir. 🔊✎
← Et pourtant, parce qu’il y a quelque chose d’individuel dans les lieux, quand me saisit le désir de revoir le côté de Guermantes, on ne le satisferait pas en me menant au bord d’une rivière où il y aurait d’aussi beaux, de plus beaux nymphéas que dans la Vivonne, pas plus que le soir en rentrant,—à l’heure où s’éveillait en moi cette angoisse qui plus tard émigre dans l’amour, et peut devenir à jamais inséparable de lui—, je n’aurais souhaité que vînt me dire bonsoir une mère plus belle et plus intelligente que la mienne. 🔊✎