garder

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C’est que les soirs des étrangers, ou seulement M. Swann, étaient , maman ne montait pas dans ma chambre. Je ne dînais pas à table, je venais après dîner au jardin, et à neuf heures je disais bonsoir et allais me coucher. Je dînais avant tout le monde et je venais ensuite m’asseoir à table, jusqu’à huit heures il était convenu que je devais monter; ce baiser précieux et fragile que maman me confiait d’habitude dans mon lit au moment de m’endormir il me fallait le transporter de la salle à manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandît et s’évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs-là j’aurais eu besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le prisse, que je le dérobasse brusquement, publiquement, sans même avoir le temps et la liberté d’esprit nécessaires pour porter à ce que je faisais cette attention des maniaques qui s’efforcent de ne pas penser à autre chose pendant qu’ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l’incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment ils l’ont fermée. 🔊

Mais voici qu’avant que le dîner fût sonné mon grand-père eut la férocité inconsciente de dire: «Le petit a l’air fatigué, il devrait monter se coucher. On dîne tard du reste ce soirEt mon père, qui ne gardait pas aussi scrupuleusement que ma grand’mère et que ma mère la foi des traités, dit: «Oui, allons, vas te coucherJe voulus embrasser maman, à cet instant on entendit la cloche du dîner. « 🔊

Mais dans l’éducation qu’on me donnait, l’ordre des fautes n’était pas le même que dans l’éducation des autres enfants et on m’avait habitué à placer avant toutes les autres (parce que sans doute il n’y en avait pas contre lesquelles j’eusse besoin d’être plus soigneusement gardé) celles dont je comprends maintenant que leur caractère commun est qu’on y tombe en cédant à une impulsion nerveuse. 🔊

Je savais qu’une telle nuit ne pourrait se renouveler; que le plus grand désir que j’eusse au monde, garder ma mère dans ma chambre pendant ces tristes heures nocturnes, était trop en opposition avec les nécessités de la vie et le vœu de tous, pour que l’accomplissement qu’on lui avait accordé ce soir pût être autre chose que factice et exceptionnel. 🔊

Malheureusement, ayant pris l’habitude de penser tout haut, elle ne faisait pas toujours attention à ce qu’il n’y eût personne dans la chambre voisine, et je l’entendais souvent se dire à elle-même: «Il faut que je me rappelle bien que je n’ai pas dormi» (car ne jamais dormir était sa grande prétention dont notre langage à tous gardait le respect et la trace: le matin Françoise ne venait pas «l’éveiller», mais «entrait» chez elle; quand ma tante voulait faire un somme dans la journée, on disait qu’elle voulait «réfléchir» ou «reposer»; et quand il lui arrivait de s’oublier en causant jusqu’à dire: «Ce qui m’a réveillée» ou «j’ai rêvé que», elle rougissait et se reprenait au plus vite). 🔊

Ma tante avait peu à peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de gens qu’elle détestait. Les uns, les pires et dont elle s’était débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas «s’écouter» et professaient, fût-ce négativement et en ne la manifestant que par certains silences de désapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy!) lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, était aussi gravement malade qu’elle le disait. 🔊

Elle eût mieux aimé bien profiter d’Eulalie et ne pas avoir tout le monde à la fois. Mais elle n’osait pas ne pas recevoir le curé et faisait seulement signe à Eulalie de ne pas s’en aller en même temps que lui, qu’elle la garderait un peu seule quand il serait parti. 🔊

Et justement ces fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de tendre embellissement à une toilette pour une grande fête, qui, parce qu’elles leur présentent la raison de leur supériorité, sont celles qui semblent belles avec le plus d’évidence aux yeux des enfants, et à cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu’ils ont compris qu’elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n’avaient pas été choisies par la couturière. 🔊

Elle levait distraitement les yeux en entendant derrière les arbres de la rive la voix des passants dont avant qu’elle eût aperçu leur visage, elle pouvait être certaine que jamais ils n’avaient connu, ni ne connaîtraient l’infidèle, que rien dans leur passé ne gardait sa marque, que rien dans leur avenir n’aurait l’occasion de la recevoir. 🔊

Je ne savais pas la raison du plaisir que j’avais eu à les apercevoir à l’horizon et l’obligation de chercher à découvrir cette raison me semblait bien pénible; j’avais envie de garder en réserve dans ma tête ces lignes remuantes au soleil et de n’y plus penser maintenant. 🔊

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