← C’est que les soirs où des étrangers, ou seulement M. Swann, étaient là, maman ne montait pas dans ma chambre. Je ne dînais pas à table, je venais après dîner au jardin, et à neuf heures je disais bonsoir et allais me coucher. Je dînais avant tout le monde et je venais ensuite m’asseoir à table, jusqu’à huit heures où il était convenu que je devais monter; ce baiser précieux et fragile que maman me confiait d’habitude dans mon lit au moment de m’endormir il me fallait le transporter de la salle à manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandît et s’évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs-là où j’aurais eu besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le prisse, que je le dérobasse brusquement, publiquement, sans même avoir le temps et la liberté d’esprit nécessaires pour porter à ce que je faisais cette attention des maniaques qui s’efforcent de ne pas penser à autre chose pendant qu’ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l’incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment où ils l’ont fermée. 🔊✎
← Certes, le beau visage de ma mère brillait encore de jeunesse ce soir-là où elle me tenait si doucement les mains et cherchait à arrêter mes larmes; mais justement il me semblait que cela n’aurait pas dû être, sa colère eût été moins triste pour moi que cette douceur nouvelle que n’avait pas connue mon enfance; il me semblait que je venais d’une main impie et secrète de tracer dans son âme une première ride et d’y faire apparaître un premier cheveu blanc. 🔊✎
← Aussi tous les changements bizarres qui se produisent dans l’attitude respective de la meunière et de l’enfant et qui ne trouvent leur explication que dans les progrès d’un amour naissant me paraissaient empreints d’un profond mystère dont je me figurais volontiers que la source devait être dans ce nom inconnu et si doux de «Champi» qui mettait sur l’enfant, qui le portait sans que je susse pourquoi, sa couleur vive, empourprée et charmante. Si ma mère était une lectrice infidèle c’était aussi, pour les ouvrages où elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la douceur du son. 🔊✎
← De même, quand elle lisait la prose de George Sand, qui respire toujours cette bonté, cette distinction morale que maman avait appris de ma grand’mère à tenir pour supérieures à tout dans la vie, et que je ne devais lui apprendre que bien plus tard à ne pas tenir également pour supérieures à tout dans les livres, attentive à bannir de sa voix toute petitesse, toute affectation qui eût pu empêcher le flot puissant d’y être reçu, elle fournissait toute la tendresse naturelle, toute l’ample douceur qu’elles réclamaient à ces phrases qui semblaient écrites pour sa voix et qui pour ainsi dire tenaient tout entières dans le registre de sa sensibilité. 🔊✎
← Mes remords étaient calmés, je me laissais aller à la douceur de cette nuit où j’avais ma mère auprès de moi. 🔊✎
← Et quand il n’y avait plus de monde là, maman qui savait que Françoise pleurait encore ses parents morts depuis des années, lui parlait d’eux avec douceur, lui demandait mille détails sur ce qu’avait été leur vie. 🔊✎
← Je regrettais que ma mère ne se teignît pas les cheveux et ne se mît pas de rouge aux lèvres comme j’avais entendu dire par notre voisine Mme Sazerat que Mme Swann le faisait pour plaire, non à son mari, mais à M. de Charlus, et je pensais que nous devions être pour elle un objet de mépris, ce qui me peinait surtout à cause de Mlle Swann qu’on m’avait dit être une si jolie petite fille et à laquelle je rêvais souvent en lui prêtant chaque fois un même visage arbitraire et charmant. Mais quand j’eus appris ce jour-là que Mlle Swann était un être d’une condition si rare, baignant comme dans son élément naturel au milieu de tant de privilèges, que quand elle demandait à ses parents s’il y avait quelqu’un à dîner, on lui répondait par ces syllabes remplies de lumière, par le nom de ce convive d’or qui n’était pour elle qu’un vieil ami de sa famille: Bergotte; que, pour elle, la causerie intime à table, ce qui correspondait à ce qu’était pour moi la conversation de ma grand’tante, c’étaient des paroles de Bergotte sur tous ces sujets qu’il n’avait pu aborder dans ses livres, et sur lesquels j’aurais voulu l’écouter rendre ses oracles, et qu’enfin, quand elle allait visiter des villes, il cheminait à côté d’elle, inconnu et glorieux, comme les Dieux qui descendaient au milieu des mortels, alors je sentis en même temps que le prix d’un être comme Mlle Swann, combien je lui paraîtrais grossier et ignorant, et j’éprouvai si vivement la douceur et l’impossibilité qu’il y aurait pour moi à être son ami, que je fus rempli à la fois de désir et de désespoir. 🔊✎
← —Mme Amédée, c’est toujours tout l’extrême des autres, disait Françoise avec douceur, réservant pour le moment où elle serait seule avec les autres domestiques, de dire qu’elle croyait ma grand’mère un peu «piquée». 🔊✎
← —«Je sais que les choses se sont encore mal arrangées tantôt, Léonie, lui dit-elle avec douceur, vous avez eu tout votre monde à la fois.» 🔊✎
← Et cependant, Françoise tournait à la broche un de ces poulets, comme elle seule savait en rôtir, qui avaient porté loin dans Combray l’odeur de ses mérites, et qui, pendant qu’elle nous les servait à table, faisaient prédominer la douceur dans ma conception spéciale de son caractère, l’arôme de cette chair qu’elle savait rendre si onctueuse et si tendre n’étant pour moi que le propre parfum d’une de ses vertus. 🔊✎