Vichy

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Ma tante avait peu à peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de gens qu’elle détestait. Les uns, les pires et dont elle s’était débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas «s’écouter» et professaient, fût-ce négativement et en ne la manifestant que par certains silences de désapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy!) lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, était aussi gravement malade qu’elle le disait. 🔊

Et le plus tôt sera le mieux, car tant que l’orage n’aura pas éclaté, mon eau de Vichy ne descendra pas, ajoutait ma tante dans l’esprit de qui le désir de hâter la descente de l’eau de Vichy l’emportait infiniment sur la crainte de voir Mme Goupil gâter sa robe🔊

Je comprends maintenant pourquoi mon eau de Vichy me restait sur l’estomac🔊

Et se précipitant sur un livre de messe relié en velours violet, monté d’or, et d’, dans sa hâte, elle laissait s’échapper de ces images, bordées d’un bandeau de dentelle de papier jaunissante, qui marquent les pages des fêtes, ma tante, tout en avalant ses gouttes commençait à lire au plus vite les textes sacrés dont l’intelligence lui était légèrement obscurcie par l’incertitude de savoir si, prise aussi longtemps après l’eau de Vichy, la pepsine serait encore capable de la rattraper et de la faire descendre. «Trois heures, c’est incroyable ce que le temps passe🔊

Ce n’est pas que l’argent que ma tante donnait à Eulalie, Françoise l’eût voulu pour elle. Elle jouissait suffisamment de ce que ma tante possédait, sachant que les richesses de la maîtresse du même coup élèvent et embellissent aux yeux de tous sa servante; et qu’elle, Françoise, était insigne et glorifiée dans Combray, Jouy-le-Vicomte et autres lieux, pour les nombreuses fermes de ma tante, les visites fréquentes et prolongées du curé, le nombre singulier des bouteilles d’eau de Vichy consommées. 🔊

Si, quand son petit-fils était un peu enrhumé du cerveau, elle partait la nuit, même malade, au lieu de se coucher, pour voir s’il n’avait besoin de rien, faisant quatre lieues à pied avant le jour afin d’être rentrée pour son travail, en revanche ce même amour des siens et son désir d’assurer la grandeur future de sa maison se traduisait dans sa politique à l’égard des autres domestiques par une maxime constante qui fut de n’en jamais laisser un seul s’implanter chez ma tante, qu’elle mettait d’ailleurs une sorte d’orgueil à ne laisser approcher par personne, préférant, quand elle-même était malade, se relever pour lui donner son eau de Vichy plutôt que de permettre l’accès de la chambre de sa maîtresse à la fille de cuisine. 🔊

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