← Mon grand-père qui ne l’avait pas vu depuis longtemps était accouru auprès de lui dans la propriété que les Swann possédaient aux environs de Combray, et avait réussi, pour qu’il n’assistât pas à la mise en bière, à lui faire quitter un moment, tout en pleurs, la chambre mortuaire. 🔊✎
← Elle possédait à l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions insaisissables ou oiseuses (ce qui lui donnait l’apparence de ces lois antiques qui, à côté de prescriptions féroces comme de massacrer les enfants à la mamelle, défendent avec une délicatesse exagérée de faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un animal le nerf de la cuisse). 🔊✎
← Ces heures inaccessibles et suppliciantes où elle allait goûter des plaisirs inconnus, voici que par une brèche inespérée nous y pénétrons; voici qu’un des moments dont la succession les aurait composées, un moment aussi réel que les autres, même peut-être plus important pour nous, parce que notre maîtresse y est plus mêlée, nous nous le représentons, nous le possédons, nous y intervenons, nous l’avons créé presque: le moment où on va lui dire que nous sommes là, en bas. 🔊✎
← C’était un de ces hommes qui, en dehors d’une carrière scientifique où ils ont d’ailleurs brillamment réussi, possèdent une culture toute différente, littéraire, artistique, que leur spécialisation professionnelle n’utilise pas et dont profite leur conversation. 🔊✎
← Aussi sentant combien il y avait de parties de l’univers que ma perception infirme ne distinguerait pas s’il ne les rapprochait de moi, j’aurais voulu posséder une opinion de lui, une métaphore de lui, sur toutes choses, surtout sur celles que j’aurais l’occasion de voir moi-même, et entre celles-là, particulièrement sur d’anciens monuments français et certains paysages maritimes, parce que l’insistance avec laquelle il les citait dans ses livres prouvait qu’il les tenait pour riches de signification et de beauté. 🔊✎
← Ce n’est pas que l’argent que ma tante donnait à Eulalie, Françoise l’eût voulu pour elle. Elle jouissait suffisamment de ce que ma tante possédait, sachant que les richesses de la maîtresse du même coup élèvent et embellissent aux yeux de tous sa servante; et qu’elle, Françoise, était insigne et glorifiée dans Combray, Jouy-le-Vicomte et autres lieux, pour les nombreuses fermes de ma tante, les visites fréquentes et prolongées du curé, le nombre singulier des bouteilles d’eau de Vichy consommées. 🔊✎
← L’amour physique, si injustement décrié, force tellement tout être à manifester jusqu’aux moindres parcelles qu’il possède de bonté, d’abandon de soi, qu’elles resplendissent jusqu’aux yeux de l’entourage immédiat. 🔊✎
← Il était loin le temps où quand nous avions commencé à venir passer nos vacances à Combray, nous possédions autant de prestige que ma tante aux yeux de Françoise. 🔊✎
← Non; de même que ce qu’il me fallait pour que je pusse m’endormir heureux, avec cette paix sans trouble qu’aucune maîtresse n’a pu me donner depuis puisqu’on doute d’elles encore au moment où on croit en elles, et qu’on ne possède jamais leur cœur comme je recevais dans un baiser celui de ma mère, tout entier, sans la réserve d’une arrière-pensée, sans le reliquat d’une intention qui ne fut pas pour moi,—c’est que ce fût elle, c’est qu’elle inclinât vers moi ce visage où il y avait au-dessous de l’œil quelque chose qui était, paraît-il, un défaut, et que j’aimais à l’égal du reste, de même ce que je veux revoir, c’est le côté de Guermantes que j’ai connu, avec la ferme qui est peu éloignée des deux suivantes serrées l’une contre l’autre, à l’entrée de l’allée des chênes; ce sont ces prairies où, quand le soleil les rend réfléchissantes comme une mare, se dessinent les feuilles des pommiers, c’est ce paysage dont parfois, la nuit dans mes rêves, l’individualité m’étreint avec une puissance presque fantastique et que je ne peux plus retrouver au réveil. 🔊✎