paysage

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Elle eût aimé que j’eusse dans ma chambre des photographies des monuments ou des paysages les plus beaux. 🔊

On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant sa figure inoubliable à l’horizon Combray n’apparaissait pas encore; quand du train qui, la semaine de Pâques, nous amenait de Paris, mon père l’apercevait qui filait tour à tour sur tous les sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il nous disait: «Allons, prenez les couvertures, on est arrivéEt dans une des plus grandes promenades que nous faisions de Combray, il y avait un endroit la route resserrée débouchait tout à coup sur un immense plateau fermé à l’horizon par des forêts déchiquetées que dépassait seul la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à se paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine. 🔊

Déjà moins intérieur à mon corps que cette vie des personnages, venait ensuite, à demi projeté devant moi, le paysage se déroulait l’action et qui exerçait sur ma pensée une bien plus grande influence que l’autre, que celui que j’avais sous les yeux quand je les levais du livre. 🔊

Ce n’était pas seulement parce qu’une image dont nous rêvons reste toujours marquée, s’embellit et bénéficie du reflet des couleurs étrangères qui par hasard l’entourent dans notre rêverie; car ces paysages des livres que je lisais n’étaient pas pour moi que des paysages plus vivement représentés à mon imagination que ceux que Combray mettait sous mes yeux, mais qui eussent été analogues. 🔊

Aussi sentant combien il y avait de parties de l’univers que ma perception infirme ne distinguerait pas s’il ne les rapprochait de moi, j’aurais voulu posséder une opinion de lui, une métaphore de lui, sur toutes choses, surtout sur celles que j’aurais l’occasion de voir moi-même, et entre celles-là, particulièrement sur d’anciens monuments français et certains paysages maritimes, parce que l’insistance avec laquelle il les citait dans ses livres prouvait qu’il les tenait pour riches de signification et de beauté. 🔊

Mon père lui en reparla dans nos rencontres ultérieures, le tortura de questions, ce fut peine inutile: comme cet escroc érudit qui employait à fabriquer de faux palimpsestes un labeur et une science dont la centième partie eût suffi à lui assurer une situation plus lucrative, mais honorable, M. Legrandin, si nous avions insisté encore, aurait fini par édifier toute une éthique de paysage et une géographie céleste de la basse Normandie, plutôt que de nous avouer qu’à deux kilomètres de Balbec habitait sa propre sœur, et d’être obligé à nous offrir une lettre d’introduction qui n’eût pas été pour lui un tel sujet d’effroi s’il avait été absolument certain,—comme il aurait l’être en effet avec l’expérience qu’il avait du caractère de ma grand’mèreque nous n’en aurions pas profité. 🔊

Comme mon père parlait toujours du côté de Méséglise comme de la plus belle vue de plaine qu’il connût et du côté de Guermantes comme du type de paysage de rivière, je leur donnais, en les concevant ainsi comme deux entités, cette cohésion, cette unité qui n’appartiennent qu’aux créations de notre esprit; la moindre parcelle de chacun d’eux me semblait précieuse et manifester leur excellence particulière, tandis qu’à côté d’eux, avant qu’on fût arrivé sur le sol sacré de l’un ou de l’autre, les chemins purement matériels au milieu desquels ils étaient posés comme l’idéal de la vue de plaine et l’idéal du paysage de rivière, ne valaient pas plus la peine d’être regardés que par le spectateur épris d’art dramatique, les petites rues qui avoisinent un théâtre. 🔊

Sans doute elle progresse en nous insensiblement et les vérités qui en ont changé pour nous le sens et l’aspect, qui nous ont ouvert de nouveaux chemins, nous en préparions depuis longtemps la découverte; mais c’était sans le savoir; et elles ne datent pour nous que du jour, de la minute elles nous sont devenues visibles. Les fleurs qui jouaient alors sur l’herbe, l’eau qui passait au soleil, tout le paysage qui environna leur apparition continue à accompagner leur souvenir de son visage inconscient ou distrait; et certes quand ils étaient longuement contemplés par cet humble passant, par cet enfant qui rêvait,—comme l’est un roi, par un mémorialiste perdu dans la foule,—ce coin de nature, ce bout de jardin n’eussent pu penser que ce serait grâce à lui qu’ils seraient appelés à survivre en leurs particularités les plus éphémères; et pourtant ce parfum d’aubépine qui butine le long de la haie les églantiers le remplaceront bientôt, un bruit de pas sans écho sur le gravier d’une allée, une bulle formée contre une plante aquatique par l’eau de la rivière et qui crève aussitôt, mon exaltation les a portés et a réussi à leur faire traverser tant d’années successives, tandis qu’alentour les chemins se sont effacés et que sont morts ceux qui les foulèrent et le souvenir de ceux qui les foulèrent. 🔊

Parfois ce morceau de paysage amené ainsi jusqu’à aujourd’hui se détache si isolé de tout, qu’il flotte incertain dans ma pensée comme une Délos fleurie, sans que je puisse dire de quel pays, de quel tempspeut-être tout simplement de quel rêveil vient. 🔊

Non; de même que ce qu’il me fallait pour que je pusse m’endormir heureux, avec cette paix sans trouble qu’aucune maîtresse n’a pu me donner depuis puisqu’on doute d’elles encore au moment on croit en elles, et qu’on ne possède jamais leur cœur comme je recevais dans un baiser celui de ma mère, tout entier, sans la réserve d’une arrière-pensée, sans le reliquat d’une intention qui ne fut pas pour moi,—c’est que ce fût elle, c’est qu’elle inclinât vers moi ce visage il y avait au-dessous de l’œil quelque chose qui était, paraît-il, un défaut, et que j’aimais à l’égal du reste, de même ce que je veux revoir, c’est le côté de Guermantes que j’ai connu, avec la ferme qui est peu éloignée des deux suivantes serrées l’une contre l’autre, à l’entrée de l’allée des chênes; ce sont ces prairies , quand le soleil les rend réfléchissantes comme une mare, se dessinent les feuilles des pommiers, c’est ce paysage dont parfois, la nuit dans mes rêves, l’individualité m’étreint avec une puissance presque fantastique et que je ne peux plus retrouver au réveil. 🔊

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