← Provoqué par elles à donner son avis, à exprimer son admiration pour un tableau, il gardait un silence presque désobligeant et se rattrapait en revanche s’il pouvait fournir sur le musée où il se trouvait, sur la date où il avait été peint, un renseignement matériel. 🔊✎
← Elles furent plus intéressées quand la veille du jour où Swann devait venir dîner, et leur avait personnellement envoyé une caisse de vin d’Asti, ma tante, tenant un numéro du Figaro où à côté du nom d’un tableau qui était à une Exposition de Corot, il y avait ces mots: «de la collection de M. Charles Swann», nous dit: «Vous avez vu que Swann a «les honneurs» du Figaro?»—«Mais je vous ai toujours dit qu’il avait beaucoup de goût», dit ma grand’mère. « 🔊✎
← Combray de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville, la représentant, parlant d’elle et pour elle aux lointains, et, quand on approchait, tenant serrés autour de sa haute mante sombre, en plein champ, contre le vent, comme une pastoure ses brebis, les dos laineux et gris des maisons rassemblées qu’un reste de remparts du moyen âge cernait çà et là d’un trait aussi parfaitement circulaire qu’une petite ville dans un tableau de primitif. 🔊✎
← On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant sa figure inoubliable à l’horizon où Combray n’apparaissait pas encore; quand du train qui, la semaine de Pâques, nous amenait de Paris, mon père l’apercevait qui filait tour à tour sur tous les sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il nous disait: «Allons, prenez les couvertures, on est arrivé.» Et dans une des plus grandes promenades que nous faisions de Combray, il y avait un endroit où la route resserrée débouchait tout à coup sur un immense plateau fermé à l’horizon par des forêts déchiquetées que dépassait seul la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à se paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine. 🔊✎
← Au fond, je n’aime plus au monde que quelques églises, deux ou trois livres, à peine davantage de tableaux, et le clair de lune quand la brise de votre jeunesse apporte jusqu’à moi l’odeur des parterres que mes vieilles prunelles ne distinguent plus.» Je ne comprenais pas bien que pour ne pas aller chez des gens qu’on ne connaît pas, il fût nécessaire de tenir à son indépendance, et en quoi cela pouvait vous donner l’air d’un sauvage ou d’un ours. 🔊✎
← Alors, me donnant cette joie que nous éprouvons quand nous voyons de notre peintre préféré une œuvre qui diffère de celles que nous connaissions, ou bien si l’on nous mène devant un tableau dont nous n’avions vu jusque-là qu’une esquisse au crayon, si un morceau entendu seulement au piano nous apparaît ensuite revêtu des couleurs de l’orchestre, mon grand-père m’appelant et me désignant la haie de Tansonville, me dit: «Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose; est-elle jolie!» En effet c’était une épine, mais rose, plus belle encore que les blanches. 🔊✎
← J’aimais à retrouver son image dans des tableaux et dans des livres, mais ces œuvres d’art étaient bien différentes—du moins pendant les premières années, avant que Bloch eût accoutumé mes yeux et ma pensée à des harmonies plus subtiles—de celles où la lune me paraîtrait belle aujourd’hui et où je ne l’eusse pas reconnue alors. 🔊✎
← Elle a d’ailleurs pour ces reconstitutions, des données plus précises que n’en ont généralement les restaurateurs: quelques images conservées par ma mémoire, les dernières peut-être qui existent encore actuellement, et destinées à être bientôt anéanties, de ce qu’était le Combray du temps de mon enfance; et parce que c’est lui-même qui les a tracées en moi avant de disparaître, émouvantes,—si on peut comparer un obscur portrait à ces effigies glorieuses dont ma grand’mère aimait à me donner des reproductions—comme ces gravures anciennes de la Cène ou ce tableau de Gentile Bellini dans lesquels l’on voit en un état qui n’existe plus aujourd’hui le chef-d’œuvre de Vinci et le portail de Saint-Marc. 🔊✎