← Certes ces récits faisaient rire ma grand’tante, mais sans qu’elle distinguât bien si c’était à cause du rôle ridicule que s’y donnait toujours Swann ou de l’esprit qu’il mettait à les conter: «On peut dire que vous êtes un vrai type, monsieur Swann!» Comme elle était la seule personne un peu vulgaire de notre famille, elle avait soin de faire remarquer aux étrangers, quand on parlait de Swann, qu’il aurait pu, s’il avait voulu, habiter boulevard Haussmann ou avenue de l’Opéra, qu’il était le fils de M. Swann qui avait dû lui laisser quatre ou cinq millions, mais que c’était sa fantaisie. Fantaisie qu’elle jugeait du reste devoir être si divertissante pour les autres, qu’à Paris, quand M. Swann venait le 1er janvier lui apporter son sac de marrons glacés, elle ne manquait pas, s’il y avait du monde, de lui dire: «Eh bien! M. Swann, vous habitez toujours près de l’Entrepôt des vins, pour être sûr de ne pas manquer le train quand vous prenez le chemin de Lyon?» Et elle regardait du coin de l’œil, par-dessus son lorgnon, les autres visiteurs. 🔊✎
← J’avais entendu dire que George Sand était le type du romancier. 🔊✎
← Plus lettrés que bien des littérateurs (nous ne savions pas à cette époque que M. Legrandin eût une certaine réputation comme écrivain et nous fûmes très étonnés de voir qu’un musicien célèbre avait composé une mélodie sur des vers de lui), doués de plus de «facilité» que bien des peintres, ils s’imaginent que la vie qu’ils mènent n’est pas celle qui leur aurait convenu et apportent à leurs occupations positives soit une insouciance mêlée de fantaisie, soit une application soutenue et hautaine, méprisante, amère et consciencieuse. Grand, avec une belle tournure, un visage pensif et fin aux longues moustaches blondes, au regard bleu et désenchanté, d’une politesse raffinée, causeur comme nous n’en avions jamais entendu, il était aux yeux de ma famille qui le citait toujours en exemple, le type de l’homme d’élite, prenant la vie de la façon la plus noble et la plus délicate. 🔊✎
← Comme mon père parlait toujours du côté de Méséglise comme de la plus belle vue de plaine qu’il connût et du côté de Guermantes comme du type de paysage de rivière, je leur donnais, en les concevant ainsi comme deux entités, cette cohésion, cette unité qui n’appartiennent qu’aux créations de notre esprit; la moindre parcelle de chacun d’eux me semblait précieuse et manifester leur excellence particulière, tandis qu’à côté d’eux, avant qu’on fût arrivé sur le sol sacré de l’un ou de l’autre, les chemins purement matériels au milieu desquels ils étaient posés comme l’idéal de la vue de plaine et l’idéal du paysage de rivière, ne valaient pas plus la peine d’être regardés que par le spectateur épris d’art dramatique, les petites rues qui avoisinent un théâtre. 🔊✎
← Je la trouvais si belle que j’aurais voulu pouvoir revenir sur mes pas, pour lui crier en haussant les épaules: «Comme je vous trouve laide, grotesque, comme vous me répugnez!» Cependant je m’éloignais, emportant pour toujours, comme premier type d’un bonheur inaccessible aux enfants de mon espèce de par des lois naturelles impossibles à transgresser, l’image d’une petite fille rousse, à la peau semée de taches roses, qui tenait une bêche et qui riait en laissant filer sur moi de longs regards sournois et inexpressifs. 🔊✎
← C’est qu’aussi,—comme il arrive dans ces moments de rêverie au milieu de la nature où l’action de l’habitude étant suspendue, nos notions abstraites des choses mises de côté, nous croyons d’une foi profonde, à l’originalité, à la vie individuelle du lieu où nous nous trouvons—la passante qu’appelait mon désir me semblait être non un exemplaire quelconque de ce type général: la femme, mais un produit nécessaire et naturel de ce sol. 🔊✎
← Jamais je ne m’étais avisé qu’elle pouvait avoir une figure rouge, une cravate mauve comme Mme Sazerat, et l’ovale de ses joues me fit tellement souvenir de personnes que j’avais vues à la maison que le soupçon m’effleura, pour se dissiper d’ailleurs aussitôt après, que cette dame en son principe générateur, en toutes ses molécules, n’était peut-être pas substantiellement la duchesse de Guermantes, mais que son corps, ignorant du nom qu’on lui appliquait, appartenait à un certain type féminin, qui comprenait aussi des femmes de médecins et de commerçants. « 🔊✎