← Mais j’avais beau savoir que je n’étais pas dans les demeures dont l’ignorance du réveil m’avait en un instant sinon présenté l’image distincte, du moins fait croire la présence possible, le branle était donné à ma mémoire; généralement je ne cherchais pas à me rendormir tout de suite; je passais la plus grande partie de la nuit à me rappeler notre vie d’autrefois, à Combray chez ma grand’tante, à Balbec, à Paris, à Doncières, à Venise, ailleurs encore, à me rappeler les lieux, les personnes que j’y avais connues, ce que j’avais vu d’elles, ce qu’on m’en avait raconté. A Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand’mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. 🔊✎
← Pour une personne que tu prétendais parente du maréchal de Mac-Mahon!» Cette opinion de mes parents sur les relations de Swann leur parut ensuite confirmée par son mariage avec une femme de la pire société, presque une cocotte que, d’ailleurs, il ne chercha jamais à présenter, continuant à venir seul chez nous, quoique de moins en moins, mais d’après laquelle ils crurent pouvoir juger—supposant que c’était là qu’il l’avait prise—le milieu, inconnu d’eux, qu’il fréquentait habituellement. 🔊✎
← Aussi, quand Françoise allait les voir, à quelques lieues de Combray, maman lui disait en souriant: «N’est-ce pas Françoise, si Julien a été obligé de s’absenter et si vous avez Marguerite à vous toute seule pour toute la journée, vous serez désolée, mais vous vous ferez une raison?» Et Françoise disait en riant: «Madame sait tout; madame est pire que les rayons X (elle disait x avec une difficulté affectée et un sourire pour se railler elle-même, ignorante, d’employer ce terme savant), qu’on a fait venir pour Mme Octave et qui voient ce que vous avez dans le cœur», et disparaissait, confuse qu’on s’occupât d’elle, peut-être pour qu’on ne la vît pas pleurer; maman était la première personne qui lui donnât cette douce émotion de sentir que sa vie, ses bonheurs, ses chagrins de paysanne pouvaient présenter de l’intérêt, être un motif de joie ou de tristesse pour une autre qu’elle-même. 🔊✎
← Et si nous n’allions le voir qu’à certains jours c’est que, les autres jours, venaient des femmes avec lesquelles sa famille n’aurait pas pu se rencontrer, du moins à son avis à elle, car, pour mon oncle, au contraire, sa trop grande facilité à faire à de jolies veuves qui n’avaient peut-être jamais été mariées, à des comtesses de nom ronflant, qui n’était sans doute qu’un nom de guerre, la politesse de les présenter à ma grand’mère ou même à leur donner des bijoux de famille, l’avait déjà brouillé plus d’une fois avec mon grand-père. Souvent, à un nom d’actrice qui venait dans la conversation, j’entendais mon père dire à ma mère, en souriant: «Une amie de ton oncle»; et je pensais que le stage que peut-être pendant des années des hommes importants faisaient inutilement à la porte de telle femme qui ne répondait pas à leurs lettres et les faisait chasser par le concierge de son hôtel, mon oncle aurait pu en dispenser un gamin comme moi en le présentant chez lui à l’actrice, inapprochable à tant d’autres, qui était pour lui une intime amie. 🔊✎
← Chez la pauvre fille de cuisine, elle aussi, l’attention n’était-elle pas sans cesse ramenée à son ventre par le poids qui le tirait; et de même encore, bien souvent la pensée des agonisants est tournée vers le côté effectif, douloureux, obscur, viscéral, vers cet envers de la mort qui est précisément le côté qu’elle leur présente, qu’elle leur fait rudement sentir et qui ressemble beaucoup plus à un fardeau qui les écrase, à une difficulté de respirer, à un besoin de boire, qu’à ce que nous appelons l’idée de la mort. 🔊✎
← Le plus souvent maintenant quand je pensais à elle, je la voyais devant le porche d’une cathédrale, m’expliquant la signification des statues, et, avec un sourire qui disait du bien de moi, me présentant comme son ami, à Bergotte. 🔊✎
← Je reconnais d’ailleurs, qu’à côté de certains détails un peu réalistes, elles en présentent d’autres qui témoignent d’un véritable esprit d’observation. 🔊✎
← Ce que ma grand’tante interrompit par: «Abondance de biens...» car depuis que sa fille était malade elle croyait devoir la remonter en lui présentant toujours tout par le bon côté. 🔊✎
← Un des dimanches qui suivit la rencontre sur le Pont-Vieux après laquelle mon père avait dû confesser son erreur, comme la messe finissait et qu’avec le soleil et le bruit du dehors quelque chose de si peu sacré entrait dans l’église que Mme Goupil, Mme Percepied (toutes les personnes qui tout à l’heure, à mon arrivée un peu en retard, étaient restées les yeux absorbés dans leur prière et que j’aurais même pu croire ne m’avoir pas vu entrer si, en même temps, leurs pieds n’avaient repoussé légèrement le petit banc qui m’empêchait de gagner ma chaise) commençaient à s’entretenir avec nous à haute voix de sujets tout temporels comme si nous étions déjà sur la place, nous vîmes sur le seuil brûlant du porche, dominant le tumulte bariolé du marché, Legrandin, que le mari de cette dame avec qui nous l’avions dernièrement rencontré, était en train de présenter à la femme d’un autre gros propriétaire terrien des environs. 🔊✎
← Et justement ces fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de tendre embellissement à une toilette pour une grande fête, qui, parce qu’elles leur présentent la raison de leur supériorité, sont celles qui semblent belles avec le plus d’évidence aux yeux des enfants, et à cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu’ils ont compris qu’elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n’avaient pas été choisies par la couturière. 🔊✎