← Mille petits détails inutiles,—charmante prodigalité du pharmacien,—qu’on eût supprimés dans une préparation factice, me donnaient, comme un livre où on s’émerveille de rencontrer le nom d’une personne de connaissance, le plaisir de comprendre que c’était bien des tiges de vrais tilleuls, comme ceux que je voyais avenue de la Gare, modifiées, justement parce que c’étaient non des doubles, mais elles-même et qu’elles avaient vieilli. Et chaque caractère nouveau n’y étant que la métamorphose d’un caractère ancien, dans de petites boules grises je reconnaissais les boutons verts qui ne sont pas venus à terme; mais surtout l’éclat rose, lunaire et doux qui faisait se détacher les fleurs dans la forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues comme de petites roses d’or,—signe, comme la lueur qui révèle encore sur une muraille la place d’une fresque effacée, de la différence entre les parties de l’arbre qui avaient été «en couleur» et celles qui ne l’avaient pas été—me montrait que ces pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps. 🔊✎
← Aussi, quand Françoise allait les voir, à quelques lieues de Combray, maman lui disait en souriant: «N’est-ce pas Françoise, si Julien a été obligé de s’absenter et si vous avez Marguerite à vous toute seule pour toute la journée, vous serez désolée, mais vous vous ferez une raison?» Et Françoise disait en riant: «Madame sait tout; madame est pire que les rayons X (elle disait x avec une difficulté affectée et un sourire pour se railler elle-même, ignorante, d’employer ce terme savant), qu’on a fait venir pour Mme Octave et qui voient ce que vous avez dans le cœur», et disparaissait, confuse qu’on s’occupât d’elle, peut-être pour qu’on ne la vît pas pleurer; maman était la première personne qui lui donnât cette douce émotion de sentir que sa vie, ses bonheurs, ses chagrins de paysanne pouvaient présenter de l’intérêt, être un motif de joie ou de tristesse pour une autre qu’elle-même. 🔊✎
← —Je ne demande pas à aller à cent ans, répondait ma tante qui préférait ne pas voir assigner à ses jours un terme précis. 🔊✎
← Car il y avait autour de Combray deux «côtés» pour les promenades, et si opposés qu’on ne sortait pas en effet de chez nous par la même porte, quand on voulait aller d’un côté ou de l’autre: le côté de Méséglise-la-Vineuse, qu’on appelait aussi le côté de chez Swann parce qu’on passait devant la propriété de M. Swann pour aller par là, et le côté de Guermantes. De Méséglise-la-Vineuse, à vrai dire, je n’ai jamais connu que le «côté» et des gens étrangers qui venaient le dimanche se promener à Combray, des gens que, cette fois, ma tante elle-même et nous tous ne «connaissions point» et qu’à ce signe on tenait pour «des gens qui seront venus de Méséglise». Quant à Guermantes je devais un jour en connaître davantage, mais bien plus tard seulement; et pendant toute mon adolescence, si Méséglise était pour moi quelque chose d’inaccessible comme l’horizon, dérobé à la vue, si loin qu’on allât, par les plis d’un terrain qui ne ressemblait déjà plus à celui de Combray, Guermantes lui ne m’est apparu que comme le terme plutôt idéal que réel de son propre «côté», une sorte d’expression géographique abstraite comme la ligne de l’équateur, comme le pôle, comme l’orient. 🔊✎
← Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. 🔊✎
← Et parce que dans la surface de son visage rouge, comme si elle eût eu très chaud, je distinguais, diluées et à peine perceptibles, des parcelles d’analogie avec le portrait qu’on m’avait montré, parce que surtout les traits particuliers que je relevais en elle, si j’essayais de les énoncer, se formulaient précisément dans les mêmes termes: un grand nez, des yeux bleus, dont s’était servi le docteur Percepied quand il avait décrit devant moi la duchesse de Guermantes, je me dis: cette dame ressemble à Mme de Guermantes; or la chapelle où elle suivait la messe était celle de Gilbert le Mauvais, sous les plates tombes de laquelle, dorées et distendues comme des alvéoles de miel, reposaient les anciens comtes de Brabant, et que je me rappelais être à ce qu’on m’avait dit réservée à la famille de Guermantes quand quelqu’un de ses membres venait pour une cérémonie à Combray; il ne pouvait vraisemblablement y avoir qu’une seule femme ressemblant au portrait de Mme de Guermantes, qui fût ce jour-là, jour où elle devait justement venir, dans cette chapelle: c’était elle! 🔊✎