← Ma mère fut obligée de s’interrompre, mais elle tira de cette contrainte même une pensée délicate de plus, comme les bons poètes que la tyrannie de la rime force à trouver leurs plus grandes beautés: «Nous reparlerons d’elle quand nous serons tous les deux, dit-elle à mi-voix à Swann. 🔊✎
← Quand nous dormons et qu’une rage de dents n’est encore perçue par nous que comme une jeune fille que nous nous efforçons deux cents fois de suite de tirer de l’eau ou que comme un vers de Molière que nous nous répétons sans arrêter, c’est un grand soulagement de nous réveiller et que notre intelligence puisse débarrasser l’idée de rage de dents, de tout déguisement héroïque ou cadencé. 🔊✎
← —«Non, dit-elle, cher, vous savez que je suis habituée à celles que le grand-duc m’envoie. Je lui ai dit que vous en étiez jaloux.» Et elle tira d’un étui des cigarettes couvertes d’inscriptions étrangères et dorées. « 🔊✎
← Chez la pauvre fille de cuisine, elle aussi, l’attention n’était-elle pas sans cesse ramenée à son ventre par le poids qui le tirait; et de même encore, bien souvent la pensée des agonisants est tournée vers le côté effectif, douloureux, obscur, viscéral, vers cet envers de la mort qui est précisément le côté qu’elle leur présente, qu’elle leur fait rudement sentir et qui ressemble beaucoup plus à un fardeau qui les écrase, à une difficulté de respirer, à un besoin de boire, qu’à ce que nous appelons l’idée de la mort. 🔊✎
← —«Tenez, ma pauvre Eulalie, disait-elle d’une voix faible, en tirant une pièce d’une petite bourse qu’elle avait à portée de sa main, voilà pour que vous ne m’oubliez pas dans vos prières.» —«Ah! mais, madame Octave, je ne sais pas si je dois, vous savez bien que ce n’est pas pour cela que je viens!» disait Eulalie avec la même hésitation et le même embarras, chaque fois, que si c’était la première, et avec une apparence de mécontentement qui égayait ma tante mais ne lui déplaisait pas, car si un jour Eulalie, en prenant la pièce, avait un air un peu moins contrarié que de coutume, ma tante disait: —«Je ne sais pas ce qu’avait Eulalie; je lui ai pourtant donné la même chose que d’habitude, elle n’avait pas l’air contente.» 🔊✎
← Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme: «Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedi!» cependant que ma tante, conférant avec Françoise et songeant que la journée serait plus longue que d’habitude, disait: «Si vous leur faisiez un beau morceau de veau, comme c’est samedi.» Si à dix heures et demie un distrait tirait sa montre en disant: «Allons, encore une heure et demie avant le déjeuner», chacun était enchanté d’avoir à lui dire: «Mais voyons, à quoi pensez-vous, vous oubliez que c’est samedi!»; on en riait encore un quart d’heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l’amuser. 🔊✎
← Et ce n’est pas cependant qu’elle n’aspirât parfois à quelque plus grand changement, qu’elle n’eût de ces heures d’exception où l’on a soif de quelque chose d’autre que ce qui est, et où ceux que le manque d’énergie ou d’imagination empêche de tirer d’eux-mêmes un principe de rénovation, demandent à la minute qui vient, au facteur qui sonne, de leur apporter du nouveau, fût-ce du pire, une émotion, une douleur; où la sensibilité, que le bonheur a fait taire comme une harpe oisive, veut résonner sous une main, même brutale, et dût-elle en être brisée; où la volonté, qui a si difficilement conquis le droit d’être livrée sans obstacle à ses désirs, à ses peines, voudrait jeter les rênes entre les mains d’événements impérieux, fussent-ils cruels. 🔊✎
← Je ne doute pas qu’alors—comme le désir de la remplacer par des pommes de terre béchamel finissait au bout de quelque temps par naître du plaisir même que lui causait le retour quotidien de la purée dont elle ne se «fatiguait» pas,—elle ne tirât de l’accumulation de ces jours monotones auxquels elle tenait tant, l’attente d’un cataclysme domestique limité à la durée d’un moment mais qui la forcerait d’accomplir une fois pour toutes un de ces changements dont elle reconnaissait qu’ils lui seraient salutaires et auxquels elle ne pouvait d’elle-même se décider. 🔊✎
← Je dînai avec Legrandin sur sa terrasse; il faisait clair de lune: «Il y a une jolie qualité de silence, n’est-ce pas, me dit-il; aux cœurs blessés comme l’est le mien, un romancier que vous lirez plus tard, prétend que conviennent seulement l’ombre et le silence. Et voyez-vous, mon enfant, il vient dans la vie une heure dont vous êtes bien loin encore où les yeux las ne tolèrent plus qu’une lumière, celle qu’une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l’obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.» J’écoutais les paroles de M. Legrandin qui me paraissaient toujours si agréables; mais troublé par le souvenir d’une femme que j’avais aperçue dernièrement pour la première fois, et pensant, maintenant que je savais que Legrandin était lié avec plusieurs personnalités aristocratiques des environs, que peut-être il connaissait celle-ci, prenant mon courage, je lui dis: «Est-ce que vous connaissez, monsieur, la... les châtelaines de Guermantes», heureux aussi en prononçant ce nom de prendre sur lui une sorte de pouvoir, par le seul fait de le tirer de mon rêve et de lui donner une existence objective et sonore. 🔊✎
← Au fond du salon de Mlle Vinteuil, sur la cheminée était posé un petit portrait de son père que vivement elle alla chercher au moment où retentit le roulement d’une voiture qui venait de la route, puis elle se jeta sur un canapé, et tira près d’elle une petite table sur laquelle elle plaça le portrait, comme M. Vinteuil autrefois avait mis à côté de lui le morceau qu’il avait le désir de jouer à mes parents. 🔊✎