← J’entendais plusieurs fois par an mon grand-père raconter à table des anecdotes toujours les mêmes sur l’attitude qu’avait eue M. Swann le père, à la mort de sa femme qu’il avait veillée jour et nuit. 🔊✎
← Je ne quittais pas ma mère des yeux, je savais que quand on serait à table, on ne me permettrait pas de rester pendant toute la durée du dîner et que pour ne pas contrarier mon père, maman ne me laisserait pas l’embrasser à plusieurs reprises devant le monde, comme si ç’avait été dans ma chambre. 🔊✎
← Puis sa figure prit une expression de colère, elle ne me disait même pas un mot, et en effet pour bien moins que cela on ne m’adressait plus la parole pendant plusieurs jours. 🔊✎
← A l’habiter, Combray était un peu triste, comme ses rues dont les maisons construites en pierres noirâtres du pays, précédées de degrés extérieurs, coiffées de pignons qui rabattaient l’ombre devant elles, étaient assez obscures pour qu’il fallût dès que le jour commençait à tomber relever les rideaux dans les «salles»; des rues aux graves noms de saints (desquels plusieurs seigneurs de Combray): rue Saint-Hilaire, rue Saint-Jacques où était la maison de ma tante, rue Sainte-Hildegarde, où donnait la grille, et rue du Saint-Esprit sur laquelle s’ouvrait la petite porte latérale de son jardin; et ces rues de Combray existent dans une partie de ma mémoire si reculée, peinte de couleurs si différentes de celles qui maintenant revêtent pour moi le monde, qu’en vérité elles me paraissent toutes, et l’église qui les dominait sur la Place, plus irréelles encore que les projections de la lanterne magique; et qu’à certains moments, il me semble que pouvoir encore traverser la rue Saint-Hilaire, pouvoir louer une chambre rue de l’Oiseau—à la vieille hôtellerie de l’Oiseau flesché, des soupiraux de laquelle montait une odeur de cuisine qui s’élève encore par moments en moi aussi intermittente et aussi chaude,—serait une entrée en contact avec l’Au-delà plus merveilleusement surnaturelle que de faire la connaissance de Golo et de causer avec Geneviève de Brabant. 🔊✎
← Même à Paris, dans un des quartiers les plus laids de la ville, je sais une fenêtre où on voit après un premier, un second et même un troisième plan fait des toits amoncelés de plusieurs rues, une cloche violette, parfois rougeâtre, parfois aussi, dans les plus nobles «épreuves» qu’en tire l’atmosphère, d’un noir décanté de cendres, laquelle n’est autre que le dôme Saint-Augustin et qui donne à cette vue de Paris le caractère de certaines vues de Rome par Piranesi. 🔊✎
← Aussi,—sous le prétexte qu’une leçon qui avait été déplacée tombait maintenant si mal qu’elle m’avait empêché plusieurs fois et m’empêcherait encore de voir mon oncle—un jour, autre que celui qui était réservé aux visites que nous lui faisions, profitant de ce que mes parents avaient déjeuné de bonne heure, je sortis et au lieu d’aller regarder la colonne d’affiches, pour quoi on me laissait aller seul, je courus jusqu’à lui. 🔊✎
← Et chaque fois que ma mère était revenue à la charge au cours de la visite, il avait répété plusieurs fois «Mais je ne sais qui a mis cela sur le piano, ce n’est pas sa place», et avait détourné la conversation sur d’autres sujets, justement parce que ceux-là l’intéressaient moins. 🔊✎
← Je dînai avec Legrandin sur sa terrasse; il faisait clair de lune: «Il y a une jolie qualité de silence, n’est-ce pas, me dit-il; aux cœurs blessés comme l’est le mien, un romancier que vous lirez plus tard, prétend que conviennent seulement l’ombre et le silence. Et voyez-vous, mon enfant, il vient dans la vie une heure dont vous êtes bien loin encore où les yeux las ne tolèrent plus qu’une lumière, celle qu’une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l’obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.» J’écoutais les paroles de M. Legrandin qui me paraissaient toujours si agréables; mais troublé par le souvenir d’une femme que j’avais aperçue dernièrement pour la première fois, et pensant, maintenant que je savais que Legrandin était lié avec plusieurs personnalités aristocratiques des environs, que peut-être il connaissait celle-ci, prenant mon courage, je lui dis: «Est-ce que vous connaissez, monsieur, la... les châtelaines de Guermantes», heureux aussi en prononçant ce nom de prendre sur lui une sorte de pouvoir, par le seul fait de le tirer de mon rêve et de lui donner une existence objective et sonore. 🔊✎
← Je savais que Mlle Swann allait souvent à Laon passer quelques jours et, bien que ce fût à plusieurs lieues, la distance se trouvant compensée par l’absence de tout obstacle, quand, par les chauds après-midi, je voyais un même souffle, venu de l’extrême horizon, abaisser les blés les plus éloignés, se propager comme un flot sur toute l’immense étendue et venir se coucher, murmurant et tiède, parmi les sainfoins et les trèfles, à mes pieds, cette plaine qui nous était commune à tous deux semblait nous rapprocher, nous unir, je pensais que ce souffle avait passé auprès d’elle, que c’était quelque message d’elle qu’il me chuchotait sans que je pusse le comprendre, et je l’embrassais au passage. 🔊✎
← Nous nous engagions dans le sentier de halage qui dominait le courant d’un talus de plusieurs pieds; de l’autre côté la rive était basse, étendue en vastes prés jusqu’au village et jusqu’à la gare qui en était distante. 🔊✎