← Il ne put pourtant pas se consoler de la mort de sa femme, mais pendant les deux années qu’il lui survécut, il disait à mon grand-père: «C’est drôle, je pense très souvent à ma pauvre femme, mais je ne peux y penser beaucoup à la fois.» «Souvent, mais peu à la fois, comme le pauvre père Swann», était devenu une des phrases favorites de mon grand-père qui la prononçait à propos des choses les plus différentes. 🔊✎
← Mais alors on ne prononçait pas ce mot, on ne déclarait pas cette origine qui aurait pu me faire croire que j’étais excusable d’y succomber ou même peut-être incapable d’y résister. 🔊✎
← —«De ne pas tenir à la vie? Mais à quoi donc qu’il faut tenir, si ce n’est pas à la vie, le seul cadeau que le bon Dieu ne fasse jamais deux fois. Hélas! mon Dieu! C’est pourtant vrai qu’ils n’y tiennent pas! Je les ai vus en 70; ils n’ont plus peur de la mort, dans ces misérables guerres; c’est ni plus ni moins des fous; et puis ils ne valent plus la corde pour les pendre, ce n’est pas des hommes, c’est des lions.» (Pour Françoise la comparaison d’un homme à un lion, qu’elle prononçait li-on, n’avait rien de flatteur.) 🔊✎
← Cela a-t-il du bon sens de laisser des fenêtres qui ne donnent pas de jour et trompent même la vue par ces reflets d’une couleur que je ne saurais définir, dans une église où il n’y a pas deux dalles qui soient au même niveau et qu’on se refuse à me remplacer sous prétexte que ce sont les tombes des abbés de Combray et des seigneurs de Guermantes, les anciens comtes de Brabant. Les ancêtres directs du duc de Guermantes d’aujourd’hui et aussi de la Duchesse puisqu’elle est une demoiselle de Guermantes qui a épousé son cousin.» (Ma grand’mère qui à force de se désintéresser des personnes finissait par confondre tous les noms, chaque fois qu’on prononçait celui de la Duchesse de Guermantes prétendait que ce devait être une parente de Mme de Villeparisis. Tout le monde éclatait de rire; elle tâchait de se défendre en alléguant une certaine lettre de faire part: «Il me semblait me rappeler qu’il y avait du Guermantes là-dedans.» Et pour une fois j’étais avec les autres contre elle, ne pouvant admettre qu’il y eût un lien entre son amie de pension et la descendante de Geneviève de Brabant.)—«Voyez Roussainville, ce n’est plus aujourd’hui qu’une paroisse de fermiers, quoique dans l’antiquité cette localité ait dû un grand essor au commerce de chapeaux de feutre et des pendules. ( 🔊✎
← Quand elle venait de prononcer une parole elle l’entendait avec l’esprit de ceux à qui elle l’avait dite, s’alarmait des malentendus possibles et on voyait s’éclairer, se découper comme par transparence, sous la figure hommasse du «bon diable», les traits plus fins d’une jeune fille éplorée. 🔊✎
← Je dînai avec Legrandin sur sa terrasse; il faisait clair de lune: «Il y a une jolie qualité de silence, n’est-ce pas, me dit-il; aux cœurs blessés comme l’est le mien, un romancier que vous lirez plus tard, prétend que conviennent seulement l’ombre et le silence. Et voyez-vous, mon enfant, il vient dans la vie une heure dont vous êtes bien loin encore où les yeux las ne tolèrent plus qu’une lumière, celle qu’une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l’obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.» J’écoutais les paroles de M. Legrandin qui me paraissaient toujours si agréables; mais troublé par le souvenir d’une femme que j’avais aperçue dernièrement pour la première fois, et pensant, maintenant que je savais que Legrandin était lié avec plusieurs personnalités aristocratiques des environs, que peut-être il connaissait celle-ci, prenant mon courage, je lui dis: «Est-ce que vous connaissez, monsieur, la... les châtelaines de Guermantes», heureux aussi en prononçant ce nom de prendre sur lui une sorte de pouvoir, par le seul fait de le tirer de mon rêve et de lui donner une existence objective et sonore. 🔊✎
← Ce nom, devenu pour moi presque mythologique, de Swann, quand je causais avec mes parents, je languissais du besoin de le leur entendre dire, je n’osais pas le prononcer moi-même, mais je les entraînais sur des sujets qui avoisinaient Gilberte et sa famille, qui la concernaient, où je ne me sentais pas exilé trop loin d’elle; et je contraignais tout d’un coup mon père, en feignant de croire par exemple que la charge de mon grand-père avait été déjà avant lui dans notre famille, ou que la haie d’épines roses que voulait voir ma tante Léonie se trouvait en terrain communal, à rectifier mon assertion, à me dire, comme malgré moi, comme de lui-même: «Mais non, cette charge-là était au père de Swann, cette haie fait partie du parc de Swann.» Alors j’étais obligé de reprendre ma respiration, tant, en se posant sur la place où il était toujours écrit en moi, pesait à m’étouffer ce nom qui, au moment où je l’entendais, me paraissait plus plein que tout autre, parce qu’il était lourd de toutes les fois où, d’avance, je l’avais mentalement proféré. 🔊✎
← Toutes les séductions singulières que je mettais dans ce nom de Swann, je les retrouvais en lui dès qu’ils le prononçaient. 🔊✎
← Mais elle devina sans doute que son amie penserait qu’elle n’avait dit ces mots que pour la provoquer à lui répondre par certains autres qu’elle avait en effet le désir d’entendre, mais que par discrétion elle voulait lui laisser l’initiative de prononcer. 🔊✎
← Elle cherchait le plus loin qu’elle pouvait de sa vraie nature morale, à trouver le langage propre à la fille vicieuse qu’elle désirait d’être, mais les mots qu’elle pensait que celle-ci eût prononcés sincèrement lui paraissaient faux dans sa bouche. 🔊✎