← Que nous l’aimons—comme en ce moment j’aimais Françoise—, l’intermédiaire bien intentionné qui d’un mot vient de nous rendre supportable, humaine et presque propice la fête inconcevable, infernale, au sein de laquelle nous croyions que des tourbillons ennemis, pervers et délicieux entraînaient loin de nous, la faisant rire de nous, celle que nous aimons. 🔊✎
← Ses pierres tombales, sous lesquelles la noble poussière des abbés de Combray, enterrés là, faisait au chœur comme un pavage spirituel, n’étaient plus elles-mêmes de la matière inerte et dure, car le temps les avait rendues douces et fait couler comme du miel hors des limites de leur propre équarrissure qu’ici elles avaient dépassées d’un flot blond, entraînant à la dérive une majuscule gothique en fleurs, noyant les violettes blanches du marbre; et en deçà desquelles, ailleurs, elles s’étaient résorbées, contractant encore l’elliptique inscription latine, introduisant un caprice de plus dans la disposition de ces caractères abrégés, rapprochant deux lettres d’un mot dont les autres avaient été démesurément distendues. 🔊✎
← Quand on voulait aller du côté de Méséglise, on sortait (pas trop tôt et même si le ciel était couvert, parce que la promenade n’était pas bien longue et n’entraînait pas trop) comme pour aller n’importe où, par la grande porte de la maison de ma tante sur la rue du Saint-Esprit. 🔊✎
← La lumière tombait si implacable du ciel devenu fixe que l’on aurait voulu se soustraire à son attention, et l’eau dormante elle-même, dont des insectes irritaient perpétuellement le sommeil, rêvant sans doute de quelque Maelstrôm imaginaire, augmentait le trouble où m’avait jeté la vue du flotteur de liège en semblant l’entraîner à toute vitesse sur les étendues silencieuses du ciel reflété; presque vertical il paraissait prêt à plonger et déjà je me demandais, si, sans tenir compte du désir et de la crainte que j’avais de la connaître, je n’avais pas le devoir de faire prévenir Mlle Swann que le poisson mordait,—quand il me fallut rejoindre en courant mon père et mon grand-père qui m’appelaient, étonnés que je ne les eusse pas suivis dans le petit chemin qui monte vers les champs et où ils s’étaient engagés. 🔊✎
← Ce nom, devenu pour moi presque mythologique, de Swann, quand je causais avec mes parents, je languissais du besoin de le leur entendre dire, je n’osais pas le prononcer moi-même, mais je les entraînais sur des sujets qui avoisinaient Gilberte et sa famille, qui la concernaient, où je ne me sentais pas exilé trop loin d’elle; et je contraignais tout d’un coup mon père, en feignant de croire par exemple que la charge de mon grand-père avait été déjà avant lui dans notre famille, ou que la haie d’épines roses que voulait voir ma tante Léonie se trouvait en terrain communal, à rectifier mon assertion, à me dire, comme malgré moi, comme de lui-même: «Mais non, cette charge-là était au père de Swann, cette haie fait partie du parc de Swann.» Alors j’étais obligé de reprendre ma respiration, tant, en se posant sur la place où il était toujours écrit en moi, pesait à m’étouffer ce nom qui, au moment où je l’entendais, me paraissait plus plein que tout autre, parce qu’il était lourd de toutes les fois où, d’avance, je l’avais mentalement proféré. 🔊✎