← Elle essayait de ruser et sinon d’éliminer entièrement la banalité commerciale, du moins de la réduire, d’y substituer pour la plus grande partie de l’art encore, d’y introduire comme plusieurs «épaisseurs» d’art: au lieu de photographies de la Cathédrale de Chartres, des Grandes Eaux de Saint-Cloud, du Vésuve, elle se renseignait auprès de Swann si quelque grand peintre ne les avait pas représentés, et préférait me donner des photographies de la Cathédrale de Chartres par Corot, des Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert Robert, du Vésuve par Turner, ce qui faisait un degré d’art de plus. 🔊✎
← Car, au fond permanent d’œufs, de côtelettes, de pommes de terre, de confitures, de biscuits, qu’elle ne nous annonçait même plus, Françoise ajoutait—selon les travaux des champs et des vergers, le fruit de la marée, les hasards du commerce, les politesses des voisins et son propre génie, et si bien que notre menu, comme ces quatre-feuilles qu’on sculptait au XIIIe siècle au portail des cathédrales, reflétait un peu le rythme des saisons et les épisodes de la vie—: une barbue parce que la marchande lui en avait garanti la fraîcheur, une dinde parce qu’elle en avait vu une belle au marché de Roussainville-le-Pin, des cardons à la moelle parce qu’elle ne nous en avait pas encore fait de cette manière-là, un gigot rôti parce que le grand air creuse et qu’il avait bien le temps de descendre d’ici sept heures, des épinards pour changer, des abricots parce que c’était encore une rareté, des groseilles parce que dans quinze jours il n’y en aurait plus, des framboises que M. Swann avait apportées exprès, des cerises, les premières qui vinssent du cerisier du jardin après deux ans qu’il n’en donnait plus, du fromage à la crème que j’aimais bien autrefois, un gâteau aux amandes parce qu’elle l’avait commandé la veille, une brioche parce que c’était notre tour de l’offrir. 🔊✎
← Car, même si je l’avais acheté à Combray, en l’apercevant devant l’épicerie Borange, trop distante de la maison pour que Françoise pût s’y fournir comme chez Camus, mais mieux achalandée comme papeterie et librairie, retenu par des ficelles dans la mosaïque des brochures et des livraisons qui revêtaient les deux vantaux de sa porte plus mystérieuse, plus semée de pensées qu’une porte de cathédrale, c’est que je l’avais reconnu pour m’avoir été cité comme un ouvrage remarquable par le professeur ou le camarade qui me paraissait à cette époque détenir le secret de la vérité et de la beauté à demi pressenties, à demi incompréhensibles, dont la connaissance était le but vague mais permanent de ma pensée. 🔊✎
← Mais l’interruption et le commentaire qui furent apportés une fois par une visite de Swann à la lecture que j’étais en train de faire du livre d’un auteur tout nouveau pour moi, Bergotte, eut cette conséquence que, pour longtemps, ce ne fut plus sur un mur décoré de fleurs violettes en quenouille, mais sur un fond tout autre, devant le portail d’une cathédrale gothique, que se détacha désormais l’image d’une des femmes dont je rêvais. 🔊✎
← Puis je remarquai les expressions rares, presque archaïques qu’il aimait employer à certains moments où un flot caché d’harmonie, un prélude intérieur, soulevait son style; et c’était aussi à ces moments-là qu’il se mettait à parler du «vain songe de la vie», de «l’inépuisable torrent des belles apparences», du «tourment stérile et délicieux de comprendre et d’aimer», des «émouvantes effigies qui anoblissent à jamais la façade vénérable et charmante des cathédrales», qu’il exprimait toute une philosophie nouvelle pour moi par de merveilleuses images dont on aurait dit que c’était elles qui avaient éveillé ce chant de harpes qui s’élevait alors et à l’accompagnement duquel elles donnaient quelque chose de sublime. 🔊✎
← Car dans les livres qui suivirent, s’il avait rencontré quelque grande vérité, ou le nom d’une célèbre cathédrale, il interrompait son récit et dans une invocation, une apostrophe, une longue prière, il donnait un libre cours à ces effluves qui dans ses premiers ouvrages restaient intérieurs à sa prose, décelés seulement alors par les ondulations de la surface, plus douces peut-être encore, plus harmonieuses quand elles étaient ainsi voilées et qu’on n’aurait pu indiquer d’une manière précise où naissait, où expirait leur murmure. 🔊✎
← Il y a peut-être eu cependant une réimpression. Je m’informerai. Je peux d’ailleurs demander à Bergotte tout ce que vous voulez, il n’y a pas de semaine dans l’année où il ne dîne à la maison. C’est le grand ami de ma fille. Ils vont ensemble visiter les vieilles villes, les cathédrales, les châteaux. 🔊✎
← Le plus souvent maintenant quand je pensais à elle, je la voyais devant le porche d’une cathédrale, m’expliquant la signification des statues, et, avec un sourire qui disait du bien de moi, me présentant comme son ami, à Bergotte. 🔊✎
← Et toujours le charme de toutes les idées que faisaient naître en moi les cathédrales, le charme des coteaux de l’Ile-de-France et des plaines de la Normandie faisait refluer ses reflets sur l’image que je me formais de Mlle Swann: c’était être tout prêt à l’aimer. 🔊✎
← Le départ de Mlle Swann qui,—en m’ôtant la chance terrible de la voir apparaître dans une allée, d’être connu et méprisé par la petite fille privilégiée qui avait Bergotte pour ami et allait avec lui visiter des cathédrales—, me rendait la contemplation de Tansonville indifférente la première fois où elle m’était permise, semblait au contraire ajouter à cette propriété, aux yeux de mon grand-père et de mon père, des commodités, un agrément passager, et, comme fait pour une excursion en pays de montagnes, l’absence de tout nuage, rendre cette journée exceptionnellement propice à une promenade de ce côté; j’aurais voulu que leurs calculs fussent déjoués, qu’un miracle fît apparaître Mlle Swann avec son père, si près de nous, que nous n’aurions pas le temps de l’éviter et serions obligés de faire sa connaissance. 🔊✎