mépriser

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Par le choix qu’en avait fait l’auteur, par la foi avec laquelle ma pensée allait au-devant de sa parole comme d’une révélation, ils me semblaient êtreimpression que ne me donnait guère le pays je me trouvais, et surtout notre jardin, produit sans prestige de la correcte fantaisie du jardinier que méprisait ma grand’mèreune part véritable de la Nature elle-même, digne d’être étudiée et approfondie. 🔊

Mais il n’en allait plus de même si les bénéficiaires de la générosité de ma tante étaient de ceux que Françoise appelait «des gens comme moi, des gens qui ne sont pas plus que moi» et qui étaient ceux qu’elle méprisait le plus à moins qu’ils ne l’appelassent «Madame Françoise» et ne se considérassent comme étant «moins qu’elle». 🔊

Le départ de Mlle Swann qui,—en m’ôtant la chance terrible de la voir apparaître dans une allée, d’être connu et méprisé par la petite fille privilégiée qui avait Bergotte pour ami et allait avec lui visiter des cathédrales—, me rendait la contemplation de Tansonville indifférente la première fois elle m’était permise, semblait au contraire ajouter à cette propriété, aux yeux de mon grand-père et de mon père, des commodités, un agrément passager, et, comme fait pour une excursion en pays de montagnes, l’absence de tout nuage, rendre cette journée exceptionnellement propice à une promenade de ce côté; j’aurais voulu que leurs calculs fussent déjoués, qu’un miracle fît apparaître Mlle Swann avec son père, si près de nous, que nous n’aurions pas le temps de l’éviter et serions obligés de faire sa connaissance. 🔊

Si alors Françoise remplie comme un poète d’un flot de pensées confuses sur le chagrin, sur les souvenirs de famille, s’excusait de ne pas savoir répondre à mes théories et disait: «Je ne sais pas m’esprimer», je triomphais de cet aveu avec un bon sens ironique et brutal digne du docteur Percepied; et si elle ajoutait: «Elle était tout de même de la parentèse, il reste toujours le respect qu’on doit à la parentèse», je haussais les épaules et je me disais: «Je suis bien bon de discuter avec une illettrée qui fait des cuirs pareils», adoptant ainsi pour juger Françoise le point de vue mesquin d’hommes dont ceux qui les méprisent le plus dans l’impartialité de la méditation, sont fort capables de tenir le rôle quand ils jouent une des scènes vulgaires de la vie. 🔊

Ma mère se rappelant la triste fin de vie de M. Vinteuil, tout absorbée d’abord par les soins de mère et de bonne d’enfant qu’il donnait à sa fille, puis par les souffrances que celle-ci lui avait causées; elle revoyait le visage torturé qu’avait eu le vieillard tous les derniers temps; elle savait qu’il avait renoncé à jamais à achever de transcrire au net toute son œuvre des dernières années, pauvres morceaux d’un vieux professeur de piano, d’un ancien organiste de village dont nous imaginions bien qu’ils n’avaient guère de valeur en eux-mêmes, mais que nous ne méprisions pas parce qu’ils en avaient tant pour lui dont ils avaient été la raison de vivre avant qu’il les sacrifiât à sa fille, et qui pour la plupart pas même notés, conservés seulement dans sa mémoire, quelques-uns inscrits sur des feuillets épars, illisibles, resteraient inconnus; ma mère pensait à cet autre renoncement plus cruel encore auquel M. Vinteuil avait été contraint, le renoncement à un avenir de bonheur honnête et respecté pour sa fille; quand elle évoquait toute cette détresse suprême de l’ancien maître de piano de mes tantes, elle éprouvait un véritable chagrin et songeait avec effroi à celui autrement amer que devait éprouver Mlle Vinteuil tout mêlé du remords d’avoir à peu près tué son père. « 🔊

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