← Je savais que le cas dans lequel je me mettais était de tous celui qui pouvait avoir pour moi, de la part de mes parents, les conséquences les plus graves, bien plus graves en vérité qu’un étranger n’aurait pu le supposer, de celles qu’il aurait cru que pouvaient produire seules des fautes vraiment honteuses. 🔊✎
← Mais ma tante savait bien que ce n’était pas pour rien qu’elle avait sonné Françoise, car, à Combray, une personne «qu’on ne connaissait point» était un être aussi peu croyable qu’un dieu de la mythologie, et de fait on ne se souvenait pas que, chaque fois que s’était produite, dans la rue de Saint-Esprit ou sur la place, une de ces apparitions stupéfiantes, des recherches bien conduites n’eussent pas fini par réduire le personnage fabuleux aux proportions d’une «personne qu’on connaissait», soit personnellement, soit abstraitement, dans son état civil, en tant qu’ayant tel degré de parenté avec des gens de Combray. 🔊✎
← Par le choix qu’en avait fait l’auteur, par la foi avec laquelle ma pensée allait au-devant de sa parole comme d’une révélation, ils me semblaient être—impression que ne me donnait guère le pays où je me trouvais, et surtout notre jardin, produit sans prestige de la correcte fantaisie du jardinier que méprisait ma grand’mère—une part véritable de la Nature elle-même, digne d’être étudiée et approfondie. 🔊✎
← Et si je demandais: «Connaissez-vous les Guermantes?», Legrandin le causeur répondait: «Non, je n’ai jamais voulu les connaître.» Malheureusement il ne le répondait qu’en second, car un autre Legrandin qu’il cachait soigneusement au fond de lui, qu’il ne montrait pas, parce que ce Legrandin-là savait sur le nôtre, sur son snobisme, des histoires compromettantes, un autre Legrandin avait déjà répondu par la blessure du regard, par le rictus de la bouche, par la gravité excessive du ton de la réponse, par les mille flèches dont notre Legrandin s’était trouvé en un instant lardé et alangui, comme un saint Sébastien du snobisme: «Hélas! que vous me faites mal, non je ne connais pas les Guermantes, ne réveillez pas la grande douleur de ma vie.» Et comme ce Legrandin enfant terrible, ce Legrandin maître chanteur, s’il n’avait pas le joli langage de l’autre, avait le verbe infiniment plus prompt, composé de ce qu’on appelle «réflexes», quand Legrandin le causeur voulait lui imposer silence, l’autre avait déjà parlé et notre ami avait beau se désoler de la mauvaise impression que les révélations de son alter ego avaient dû produire, il ne pouvait qu’entreprendre de la pallier. 🔊✎
← Ils étaient fort nombreux à cet endroit qu’ils avaient choisi pour leurs jeux sur l’herbe, isolés, par couples, par troupes, jaunes comme un jaune d’œuf, brillants d’autant plus, me semblait-il, que ne pouvant dériver vers aucune velléité de dégustation le plaisir que leur vue me causait, je l’accumulais dans leur surface dorée, jusqu’à ce qu’il devînt assez puissant pour produire de l’inutile beauté; et cela dès ma plus petite enfance, quand du sentier de halage je tendais les bras vers eux sans pouvoir épeler complètement leur joli nom de Princes de contes de fées français, venus peut-être il y a bien des siècles d’Asie mais apatriés pour toujours au village, contents du modeste horizon, aimant le soleil et le bord de l’eau, fidèles à la petite vue de la gare, gardant encore pourtant comme certaines de nos vieilles toiles peintes, dans leur simplicité populaire, un poétique éclat d’orient. 🔊✎