← L’enveloppe corporelle de notre ami en avait été si bien bourrée, ainsi que de quelques souvenirs relatifs à ses parents, que ce Swann-là était devenu un être complet et vivant, et que j’ai l’impression de quitter une personne pour aller vers une autre qui en est distincte, quand, dans ma mémoire, du Swann que j’ai connu plus tard avec exactitude je passe à ce premier Swann,—à ce premier Swann dans lequel je retrouve les erreurs charmantes de ma jeunesse, et qui d’ailleurs ressemble moins à l’autre qu’aux personnes que j’ai connues à la même époque, comme s’il en était de notre vie ainsi que d’un musée où tous les portraits d’un même temps ont un air de famille, une même tonalité—à ce premier Swann rempli de loisir, parfumé par l’odeur du grand marronnier, des paniers de framboises et d’un brin d’estragon. 🔊✎
← Je crois qu’il a beaucoup de soucis avec sa coquine de femme qui vit au su de tout Combray avec un certain monsieur de Charlus. C’est la fable de la ville.» Ma mère fit remarquer qu’il avait pourtant l’air bien moins triste depuis quelque temps. « 🔊✎
← Je vis dans la cage de l’escalier la lumière projetée par la bougie de maman. 🔊✎
← Un jour, ayant rencontré dans un livre de Bergotte, à propos d’une vieille servante, une plaisanterie que le magnifique et solennel langage de l’écrivain rendait encore plus ironique mais qui était la même que j’avais souvent faite à ma grand’mère en parlant de Françoise, une autre fois où je vis qu’il ne jugeait pas indigne de figurer dans un de ces miroirs de la vérité qu’étaient ses ouvrages, une remarque analogue à celle que j’avais eu l’occasion de faire sur notre ami M. Legrandin (remarques sur Françoise et M. Legrandin qui étaient certes de celles que j’eusse le plus délibérément sacrifiées à Bergotte, persuadé qu’il les trouverait sans intérêt), il me sembla soudain que mon humble vie et les royaumes du vrai n’étaient pas aussi séparés que j’avais cru, qu’ils coïncidaient même sur certains points, et de confiance et de joie je pleurai sur les pages de l’écrivain comme dans les bras d’un père retrouvé. 🔊✎
← Elle me rendait impatient d’arriver à l’âge où j’entrerais au collège, dans la classe appelée Philosophie. Mais je ne voulais pas qu’on y fît autre chose que vivre uniquement par la pensée de Bergotte, et si l’on m’avait dit que les métaphysiciens auxquels je m’attacherais alors ne lui ressembleraient en rien, j’aurais ressenti le désespoir d’un amoureux qui veut aimer pour la vie et à qui on parle des autres maîtresses qu’il aura plus tard. 🔊✎
← Je me rendis compte que, en dehors de ceux de sa parenté, les humains excitaient d’autant plus sa pitié par leurs malheurs, qu’ils vivaient plus éloignés d’elle. 🔊✎
← On disait: «Faut-il que ce pauvre M. Vinteuil soit aveuglé par la tendresse pour ne pas s’apercevoir de ce qu’on raconte, et permettre à sa fille, lui qui se scandalise d’une parole déplacée, de faire vivre sous son toit une femme pareille. 🔊✎
← Alors nous comprîmes que cette sorte de crainte où Françoise avait vécu des mauvaises paroles, des soupçons, des colères de ma tante avait développé chez elle un sentiment que nous avions pris pour de la haine et qui était de la vénération et de l’amour. 🔊✎
← Il faisait presque nuit quand je m’éveillai, je voulus me lever, mais je vis Mlle Vinteuil (autant que je pus la reconnaître, car je ne l’avais pas vue souvent à Combray, et seulement quand elle était encore une enfant, tandis qu’elle commençait d’être une jeune fille) qui probablement venait de rentrer, en face de moi, à quelques centimètres de moi, dans cette chambre où son père avait reçu le mien et dont elle avait fait son petit salon à elle. 🔊✎
← Certes, dans les habitudes de Mlle Vinteuil l’apparence du mal était si entière qu’on aurait eu de la peine à la rencontrer réalisée à ce degré de perfection ailleurs que chez une sadique; c’est à la lumière de la rampe des théâtres du boulevard plutôt que sous la lampe d’une maison de campagne véritable qu’on peut voir une fille faire cracher une amie sur le portrait d’un père qui n’a vécu que pour elle; et il n’y a guère que le sadisme qui donne un fondement dans la vie à l’esthétique du mélodrame. 🔊✎