← Si, comme il arrivait quelquefois, elle avait les traits d’une femme que j’avais connue dans la vie, j’allais me donner tout entier à ce but: la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une cité désirée et s’imaginent qu’on peut goûter dans une réalité le charme du songe. 🔊✎
← L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann s’en serait bien moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but; or, au contraire, comme je l’ai appris plus tard, une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie et personne, aussi bien que lui peut-être, n’aurait pu me comprendre; lui, cette angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas, où l’on ne peut pas le rejoindre, c’est l’amour qui la lui a fait connaître, l’amour auquel elle est en quelque sorte prédestinée, par lequel elle sera accaparée, spécialisée; mais quand, comme pour moi, elle est entrée en nous avant qu’il ait encore fait son apparition dans notre vie, elle flotte en l’attendant, vague et libre, sans affectation déterminée, au service un jour d’un sentiment, le lendemain d’un autre, tantôt de la tendresse filiale ou de l’amitié pour un camarade. 🔊✎
← —«Ce sera le chien de Mme Sazerat», disait Françoise, sans grande conviction, mais dans un but d’apaisement et pour que ma tante ne se «fende pas la tête.» 🔊✎
← Car, même si je l’avais acheté à Combray, en l’apercevant devant l’épicerie Borange, trop distante de la maison pour que Françoise pût s’y fournir comme chez Camus, mais mieux achalandée comme papeterie et librairie, retenu par des ficelles dans la mosaïque des brochures et des livraisons qui revêtaient les deux vantaux de sa porte plus mystérieuse, plus semée de pensées qu’une porte de cathédrale, c’est que je l’avais reconnu pour m’avoir été cité comme un ouvrage remarquable par le professeur ou le camarade qui me paraissait à cette époque détenir le secret de la vérité et de la beauté à demi pressenties, à demi incompréhensibles, dont la connaissance était le but vague mais permanent de ma pensée. 🔊✎
← Malheureusement, à peine venait-elle d’être introduite que Françoise rentrait et avec un sourire qui avait pour but de se mettre elle-même à l’unisson de la joie qu’elle ne doutait pas que ses paroles allaient causer à ma tante, articulant les syllabes pour montrer que, malgré l’emploi du style indirect, elle rapportait, en bonne domestique, les paroles mêmes dont avait daigné se servir le visiteur: —«M. le Curé serait enchanté, ravi, si Madame Octave ne repose pas et pouvait le recevoir. M. le Curé ne veut pas déranger. M. le Curé est en bas, j’y ai dit d’entrer dans la salle.» 🔊✎
← Pour ceux qui comme nous virent à cette époque M. Vinteuil éviter les personnes qu’il connaissait, se détourner quand il les apercevait, vieillir en quelques mois, s’absorber dans son chagrin, devenir incapable de tout effort qui n’avait pas directement le bonheur de sa fille pour but, passer des journées entières devant la tombe de sa femme,—il eût été difficile de ne pas comprendre qu’il était en train de mourir de chagrin, et de supposer qu’il ne se rendait pas compte des propos qui couraient. 🔊✎
← Il n’existe même pas, isolé, séparé et formulé dans l’esprit, comme le but qu’on poursuit en s’approchant d’une femme, comme la cause du trouble préalable qu’on ressent. 🔊✎