LE GARÇON, ✎ — à GARCIN. ✎ Vous m'avez appelé ? 🔊✎
GARCIN va pour répondre, mais il jette un coup d'œil à INÈS. ✎
LE GARÇON, ✎ — se tournant vers INÈS. ✎ Vous êtes chez vous, madame. 🔊✎ (Silence d'INÈS.) ✎ Si vous avez des questions à me poser ... 🔊✎ (INÈS se tait.) ✎
LE GARÇON, ✎ — déçu. ✎ D'ordinaire les clients aiment à se renseigner ... Je n'insiste pas. 🔊✎ D'ailleurs, pour la brosse à dents, la sonnette et le bronze de Barbedienne, monsieur est au courant et il vous répondra aussi bien que moi. 🔊✎
Il sort. Un silence. GARCIN ne regarde pas INÈS. INÈS regarde autour d'elle, puis elle se dirige brusquement vers GARCIN. ✎
INÈS ✎ — Où est Florence ? 🔊✎ (Silence de GARCIN.) ✎ Je vous demande où est Florence ? 🔊✎
GARCIN ✎ — Je n'en sais rien. 🔊✎
INÈS ✎ — C'est tout ce que vous avez trouvé ? La torture par l'absence ? Eh bien, c'est manqué. Florence était une petite sotte et je ne la regrette pas. 🔊✎
GARCIN ✎ — Je vous demande pardon : pour qui me prenez-vous ? 🔊✎
INÈS ✎ — Vous ? Vous êtes le bourreau. 🔊✎
GARCIN, ✎ — sursaute et puis se met à rire. ✎ C'est une méprise tout à fait amusante. Le bourreau, vraiment ? Vous êtes entrée, vous m'avez regardé et vous avez pensé : c'est le bourreau. Quelle extravagance ! 🔊✎ Le garçon est ridicule, il aurait dû nous présenter l'un à l'autre. 🔊✎ Le bourreau ! Je suis Joseph Garcin, publiciste et homme de lettres. 🔊✎ La vérité, c'est que nous sommes logés à la même enseigne. Madame ... 🔊✎
INÈS, ✎ — sèchement. ✎ Inès Serrano. Mademoiselle. 🔊✎
GARCIN ✎ — Très bien. Parfait. Eh bien, la glace est rompue. Ainsi vous me trouvez la mine d'un bourreau ? Et à quoi les reconnaît-on les bourreaux, s'il vous plaît ? 🔊✎
INÈS ✎ — Ils ont l'air d'avoir peur. 🔊✎
GARCIN ✎ — Peur ? C'est trop drôle. Et de qui ? De leurs victimes ? 🔊✎
INÈS ✎ — Allez ! Je sais ce que je dis. Je me suis regardée dans la glace. 🔊✎
GARCIN ✎ — Dans la glace ? 🔊✎ (Il regarde autour de lui.) ✎ C'est assommant : ils ont ôté tout ce qui pouvait ressembler à une glace. 🔊✎ (Un temps.) ✎ En tout cas, je puis vous affirmer que je n'ai pas peur. Je ne prends pas la situation à la légère et je suis très conscient de sa gravité. Mais je n'ai pas peur. 🔊✎
INÈS, ✎ — haussant les épaules. ✎ Ça vous regarde. 🔊✎ (Un temps.) ✎ Est-ce qu'il vous arrive de temps en temps d'aller faire un tour dehors ? 🔊✎
GARCIN ✎ — La porte est verrouillée. 🔊✎
GARCIN ✎ — Je comprends très bien que ma présence vous importune. Et personnellement, je préférerais rester seul : il faut que je mette ma vie en ordre et j'ai besoin de me recueillir. 🔊✎ Mais je suis sûr que nous pourrons nous accommoder l'un de l'autre : je ne parle pas, je ne remue guère et je fais peu de bruit ... 🔊✎ Seulement, si je peux me permettre un conseil, il faudra conserver entre nous une extrême politesse. Ce sera notre meilleure défense. 🔊✎
INÈS ✎ — Je ne suis pas polie. 🔊✎
GARCIN ✎ — Je le serai donc pour deux. 🔊✎
Un silence. GARCIN est assis sur le canapé. Inès se promène de long en large. ✎
INÈS, ✎ — le regardant. ✎ Votre bouche. 🔊✎
GARCIN, ✎ — tiré de son rêve. ✎ Plaît-il ? 🔊✎
INÈS ✎ — Vous ne pourriez pas arrêter votre bouche? Elle tourne comme une toupie sous votre nez. 🔊✎
GARCIN ✎ — Je vous demande pardon : je ne m'en rendais pas compte. 🔊✎
INÈS ✎ — C'est ce que je vous reproche. 🔊✎ (Tic de GARCIN.) ✎ Encore ! Vous prétendez être poli et vous laissez votre visage à l'abandon. Vous n'êtes pas seul et vous n'avez pas le droit de m'infliger le spectacle de votre peur. 🔊✎
Garcin se lève et va vers elle. ✎
GARCIN ✎ — Vous n'avez pas peur, vous ? 🔊✎
INÈS ✎ — Pour quoi faire ? La peur, c'était bon avant, quand nous gardions de l'espoir. 🔊✎
GARCIN, ✎ — doucement. ✎ Il n'y a plus d'espoir, mais nous sommes toujours avant. Nous n'avons pas commencé de souffrir, mademoiselle. 🔊✎
INÈS ✎ — Je sais. 🔊✎ (Un temps.) ✎ Alors ? Qu'est-ce qui va venir ? 🔊✎
GARCIN ✎ — Je ne sais pas. J'attends. 🔊✎
Un silence. GARCIN va se rasseoir. INÈS reprend sa marche. GARCIN a un tic de la bouche, puis, après un regard à INÈS, il enfouit son visage dans ses mains. Entrent ESTELLE et LE GARÇON. ✎