Flora

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A peine mon grand-père eut-il posé à Swann une question relative à cet orateur qu’une des sœurs de ma grand’mère aux oreilles de qui cette question résonna comme un silence profond mais intempestif et qu’il était poli de rompre, interpella l’autre: «Imagine-toi, Céline, que j’ai fait la connaissance d’une jeune institutrice suédoise qui m’a donné sur les coopératives dans les pays scandinaves des détails tout ce qu’il y a de plus intéressants. Il faudra qu’elle vienne dîner ici un soir.» «Je crois bien! répondit sa sœur Flora, mais je n’ai pas perdu mon temps non plus. J’ai rencontré chez M. Vinteuil un vieux savant qui connaît beaucoup Maubant, et à qui Maubant a expliqué dans le plus grand détail comment il s’y prend pour composer un rôle. C’est tout ce qu’il y a de plus intéressant. 🔊

En même temps ma tante Flora qui avait compris que cette phrase était le remerciement de Céline pour le vin d’Asti, regardait également Swann avec un air mêlé de congratulation et d’ironie, soit simplement pour souligner le trait d’esprit de sa sœur, soit qu’elle enviât Swann de l’avoir inspiré, soit qu’elle ne pût s’empêcher de se moquer de lui parce qu’elle le croyait sur la sellette. « 🔊

Je crois qu’on pourra réussir à avoir ce monsieur à dîner, continua Flora; quand on le met sur Maubant ou sur Mme Materna, il parle des heures sans s’arrêter.» «Ce doit être délicieux», soupira mon grand-père dans l’esprit de qui la nature avait malheureusement aussi complètement omis d’inclure la possibilité de s’intéresser passionnément aux coopératives suédoises ou à la composition des rôles de Maubant, qu’elle avait oublié de fournir celui des sœurs de ma grand’mère du petit grain de sel qu’il faut ajouter soi-même pour y trouver quelque saveur, à un récit sur la vie intime de Molé ou du comte de Paris. « 🔊

C’est dans le volume sur son ambassade d’Espagne; ce n’est pas un des meilleurs, ce n’est guère qu’un journal, mais du moins un journal merveilleusement écrit, ce qui fait déjà une première différence avec les assommants journaux que nous nous croyons obligés de lire matin et soir.» «Je ne suis pas de votre avis, il y a des jours la lecture des journaux me semble fort agréable...», interrompit ma tante Flora, pour montrer qu’elle avait lu la phrase sur le Corot de Swann dans le Figaro. « 🔊

Comme cela la juste proportion serait rétablieMais regrettant de s’être laissé aller à parler même légèrement de choses sérieuses: «Nous avons une bien belle conversation, dit-il ironiquement, je ne sais pas pourquoi nous abordons ces «sommets», et se tournant vers mon grand-père: «Donc Saint-Simon raconte que Maulevrier avait eu l’audace de tendre la main à ses fils. Vous savez, c’est ce Maulevrier dont il dit: «Jamais je ne vis dans cette épaisse bouteille que de l’humeur, de la grossièreté et des sottises.» «Épaisses ou non, je connais des bouteilles il y a tout autre chose», dit vivement Flora, qui tenait à avoir remercié Swann elle aussi, car le présent de vin d’Asti s’adressait aux deux. 🔊

Comment, nous ne l’avons pas remercié? je crois, entre nous, que je lui ai même tourné cela assez délicatement», répondit ma tante Flora. « 🔊

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