← Mais cette joie que sa raison n’avait cessé d’estimer, pour ce soir, irréalisable, ne lui en paraissait maintenant que plus réelle; car, il n’y avait pas collaboré par la prévision des vraisemblances, elle lui restait extérieure; il n’avait pas besoin de tirer de son esprit pour la lui fournir,—c’est d’elle-même qu’émanait, c’est elle-même qui projetait vers lui—cette vérité qui rayonnait au point de dissiper comme un songe l’isolement qu’il avait redouté, et sur laquelle il appuyait, il reposait, sans penser, sa rêverie heureuse. 🔊✎
← Et il la tenait par l’épaule, l’appuyant contre lui pour la maintenir; puis il lui dit: —Surtout, ne me parlez pas, ne me répondez que par signes pour ne pas vous essouffler encore davantage. 🔊✎
← A quelques pas, un grand gaillard en livrée rêvait, immobile, sculptural, inutile, comme ce guerrier purement décoratif qu’on voit dans les tableaux les plus tumultueux de Mantegna, songer, appuyé sur son bouclier, tandis qu’on se précipite et qu’on s’égorge à côté de lui; détaché du groupe de ses camarades qui s’empressaient autour de Swann, il semblait aussi résolu à se désintéresser de cette scène, qu’il suivait vaguement de ses yeux glauques et cruels, que si ç’eût été le massacre des Innocents ou le martyre de saint Jacques. 🔊✎
← Tout le bonheur de la vie est appuyé là-dessus.» Swann s’étonnait que de simples phrases épelées par sa pensée, comme «Cette blague!», «Je voyais bien où elle voulait en venir» pussent lui faire si mal. Mais il comprenait que ce qu’il croyait de simples phrases n’était que les pièces de l’armature entre lesquelles tenait, pouvait lui être rendue, la souffrance qu’il avait éprouvée pendant le récit d’Odette. 🔊✎